Pedro Lasch se considère tout à la fois, et de manière cohérente, comme un artiste, un éducateur et un opérateur culturel développant des projets inspirés de situations sociales spécifiques qui peuvent exister tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des lieux conventionnels de l’art contemporain. Son intérêt pour les théories et productions issues d’un art enraciné dans les échanges quotidiens, un art « socialement engagé », l’a conduit vers une pratique basée sur les interventions publiques, les interactions sociales, les collisions temporelles et le jeu. A côté de son travail personnel qui couvre un grand nombre de mediums (dessin, peinture, vidéo, installation et performance), Pedro Lasch mène de nombreux projets avec des communautés de migrants. Il est également membre actif de collectifs artistiques tels que 16 Beaver Group. Cette exposition réunit 3 séries importantes dans la pratique de Pedro Lasch qui, autour d’un même sujet, tisse et développe nombre d’extensions. « Naturalizations », travail en cours depuis 2002, est basé sur la production d’une série de masques et leur mise en circulation dans des environnements sociaux particuliers. Ces masques rectangulaires en miroir avec de petites percées pour les yeux et la bouche, fixables par un élastique autour de la tête, permettent à leurs utilisateurs de se déplacer librement en les portant. Leur tout premier effet est cependant celui de confusion spatiale et psychologique : perception inversée de l’environnement en cas d’utilisateur unique, démultiplication à l’infini du reflet des autres miroirs, des visages, des espaces et des objets lorsque plusieurs porteurs se font face… Ces masques nous demandent de nous adapter à une nouvelle réalité physique laquelle nous refuse ce qui, jusqu’alors, nous était naturel. La marque d’unicité de chaque individu (son visage) remplacée par un signe aux variations et reflets multiples mène à l’effacement d’une certaine forme de subjectivité et permet ainsi d’aménager de nouvelles bases aux relations sociales ; La posture hiératique de l’observateur, du photographe, du voyeur se trouvant retournée sur elle-même. L’équilibre quotidien entre actions introverties et extraverties s’incarne dès lors en un rythme visuel tangible et ces masques deviennent une scène, celle abritée par le théâtre de tous les jours. Le principe et le titre de cette série « Naturalizations » nous invite également à questionner la notion de « naturel » et, avec elle, ces institutions religieuses, mythologiques ou gouvernementales qui prétendent détenir la définition du « naturel » et sont promptes à diffuser leurs propres « labels de naturalisation ». A côté des masques, Pedro Lasch nous présente une vidéo : « Media Defacements – Part 1 » (2004), prolongement de la série « Naturalization ». Les images tirées de la presse qui apparaissent dans cette vidéo ont été choisies et modifiées par l’artiste afin d’ouvrir un dialogue entre des aires apparemment éloignées de notre monde contemporain. Toutes les photos originales qui en constituent le matériau de base ont en commun de montrer des individus camouflant leurs visages : Zapatistes portant des cagoules de ski noires dans le sud du Mexique. Femmes en burqas bleues à Kabul ou portant des abayas noires en Arabie Saoudite. Irakiens victimes de torture portant des bonnets de camouflage dans la prison d’Abu Ghraib. Michael Jackson, un masque sur le visage lors d’un voyage en Russie. Membres de gang masquant leurs faces à Seattle… Pourtant, tous sont des exemples de ce « brouillage » et de ce « refus » du visage, produisant des images devenues, aujourd’hui pour nous tous, des icônes emblématiques. « Latino/a America » est une série qui prend la forme de cartes, réinterprétées, du continent américain. Comme souvent dans la pratique de Pedro Lasch, elle repose sur le développement de formes d’art public, immergées dans les espaces et les échanges sociaux du quotidien. Alors que cette série pourrait être lue comme un monument dédié aux affres des migrations, son but est aussi de poser un oeil critique sur la forme, la fonction et les conventions liées à de tels monuments. A l’Automne 2003, l’artiste remit 40 cartes « Road Maps (#1 : Arrival New York), 2003 – 2006 » à 20 personnes qui se préparaient à traverser la frontière américano-mexicaine. Chacune reçut 2 cartes : l’une à conserver, l’autre à renvoyer à l’artiste après son arrivée à destination finale : New York. Pedro Lasch a reçu 8 cartes en retour, lesquelles portent différentes marques de détérioration due aux intempéries, au voyage… C’est un des aspects de ce projet qui est exposé ici : 3 cartes « Route Guides – New York Arrival Edition ». « A Sculptural Proposal for the Zocalo » Sur Zocalo, la plus grande place publique de Mexico, se trouve une cathédrale, classée au patrimoine de l’Unesco, menacée d’effondrement pendant de nombreuses années. Une importante restauration a été lancée en 1989 pour sauver le bâtiment. Pendant les neuf années de restauration, un échafaudage monumental en occupait l’intérieur réajusté tous les 15 jours du fait de la faiblesse des fondations. Une fois la restauration terminée, Lasch réalisa que l’échafaudage serait détruit. Il proposa, non sans humour, à la Mexico City’s Commission of Art for the Public Space (CAEP) de réassembler la structure de 300 tonnes pour une exposition temporaire sur la place Zocalo telle qu’elle avait été installée dans l’intérieur de la cathédrale. Le CAEP accepta avec enthousiasme la proposition et recommanda le projet à la mairie de Mexico. Des années de négociations plus tard le projet avorta pour cause de manque d’initiative et de soutien de la part des politiques. L’installation de Pedro Lasch « A Sculptural Proposal for the Zocalo » suit l’évolution du projet qui commença avec la proposition d’installer ce monument éphémère aux dimensions absurdes sur la place Zocalo.