Prosternations. C’est d’abord un mouvement du corps. Puis sa trace. Sur le sol des monastères. Dans l’atelier sur les toiles ces traces. Amples, énergiques. Mais, revenons au point central, au geste de peindre, au corps à l’ouvrage. Il n’est plus posé, debout ou assis, face à la toile. Plus question de regard allant venant du motif à la toile. Plus de chevalet sur lequel la toile est posée. Plus de distance entre les yeux du peintre et la toile – ou du moins pas au moment où elle s’élabore, le recul, le point de vue sont antérieurs et ultérieurs. Au moment décisif, ce sont les gestes qui priment. Un toucher de tout le corps qui marque la toile dans laquelle il entre en entier, sur laquelle il se place, s’allonge, se meut. Qui y laisse l’empreinte d’un déplacement, d’une impulsion, d’un rythme. Qui la manipule ensuite dans tous les sens. Et la main n’est pas au pinceau mais à manier l’objet toile tourné et retourné entre les doigts – leurs traces sur le bord pareilles à l’usure sur le rebord des livres de prières et qui leur font explicitement écho. Ce n’est qu’au moment du choix de ce qui sera retenu ou éliminé qu’interviennent l’œil, la distance. Avant, a eu lieu un corps à corps avec la peinture qui la fait dépositaire de l’énergie vitale. En cela preuve de vie. Mais aussi épreuve de justesse. L’unique trait de pinceau de Shi Tao, le Moine Citrouille amère y résonne avec son exigence. La justesse du geste, son ancrage juste dans le corps et son énergie sont seuls garants de la justesse du trait.
Démarche ni abstraite ni figurative mais que celle de ces Prosternations entées dans l’engagement physique à partir duquel se met en oeuvre une peinture qui ne « reproduit » pas un motif mais le produit de nouveau par une action analogue, qui en répète l’origine. Car motif il y a à la source des ces « images » : marques de salissures, d’usures, traces résiduelles d’un mouvement qui a eu lieu, sorte de négatifs de gestes que la peinture rejoue en changeant d’échelle, transformant en « tableau » ces doubles reliques d’actions physiques disparues et d’une performance picturale qui les a réitérées. Il existe d’autres manières au travail du peintre, mais celle-là est centrale qui, quelles qu’en soient les variations, place l’énergie et le geste pictural au centre de l’expérience plastique. Fait de la surface de la toile une scène où se joue l’acte de peindre, dont la peinture n’est elle-même que la trace.
Claude Ber