A propos de Woody
Dans les années 50 et 60, la culture tiki est le nec-plus-ultra de l’exotisme aux yeux de la jeunesse américaine avide de paradis perdus abordables pour une poignée de dollars. Il suffit alors de gratter un ukulele et d’enfiler une chemise hawaïenne pour se prendre carrément pour Elvis dans Blue Hawaii…
Il y a évidemment du tiki toc dans le Woody de Vincent Kohler. Par son matériau fake et sa silhouette graphique, tout comme par son esprit fun décontracté un peu crétin qui évoque les clichés de la vie facile sous les palmiers au son des guitares hawaïennes et sous l’œil de naïades coopératives.
Mais surgissent assez rapidement à l’esprit d’autres bestioles : les fameux Shadock , qui auraient cependant troqué leurs traits arachnéens pour de solides volumes qui appellent la tronçonneuse.
Outre les références précitées, Woody grapille également du côté des trains fantômes de Coney Island tout comme des Tschäggätta du Lötschental valaisan, ces êtres bizarres et grotesques destinés à chasser l’hiver en faisant hurler les habitants des villages de la fameuse vallée.
Dernière référence, les bricolages d’enfants qui, d’une certaine façon, sont aussi des monstres. Quelque part entre le collier de nouilles, les marrons piqués d’allumettes en guise de pattes et les avions en rouleaux de PQ, il y a une place tout prête sur l’étagère pour un Woody au format d’origine (gadget souvenir).
Mais toute la difficulté d’une pièce comme Woody n’est pas tant d’accumuler les références comme des couches de papier mâché sur un char de carnaval, elle consiste plutôt à arriver à monter le tout sans que cela se casse la gueule aux niveaux esthétique comme sémantique. Un poil trop à gauche et c’est un kitsch au raz des pâquerettes qui prend le dessus. Un poil trop à droite et c’est juste un truc rigolo aussi vite consommé qu’oublié. Pour obtenir la bonne tension, celle qui tient le spectateur en haleine, il faut un talent certain d’équilibriste, dont est visiblement doté le créateur de Woody.
Aguerri par la production de pièces précédentes qui oeuvraient sur un terrain tout aussi miné, Vincent Kohler s’en tire en effet ici comme un chef maori accueillant ses invités sur le tarmac : avec souplesse et décontraction. Le résultat est un dosage savant entre le grinçant, l’attendrissant, l’agaçant, le poilant et le déconcertant qui s’immisce lentement mais sûrement jusqu’au cerveau du spectateur.
Fabienne Radi