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  • Anne Malherbe, Olivier Masmonteil
  • The long and winding road
  • Acrylique et huile sur toile - 2010 - 200x175cm

    Récit à deux voix entre le peintre et la critique d’art

    par Anne Malherbe et Olivier Masmonteil.

     

    Ouverture

    Récit du peintre (extrait de son journal de voyage)

    « Patagonia », between Puerto Natales and Rio Gallegos.

    Le Paysage défile sous mes yeux, inlassablement depuis des heures. Le soleil tente bien de se coucher mais, à ces latitudes, cela prend trop de temps. C’est un rêve de peintre : l’éphémère qui défie l’éternité. La palette du ciel n’en finit plus de s’étendre dans des carmins rouges, des oranges violacés.

    Il y a quelques jours encore je marchais sur un glacier bleu dont les halos blancs irradiaient les forêts qui le bordent. Aujourd’hui j’ai vu le vol des flamants roses traverser des herbes jaunes. Dans les eaux sombres et cristallines, j’ai vu jaillir un saumon Chinook argenté fraîchement remonté des Fjords chiliens.

    Sur les premiers reliefs andins le ciel est venu se déchirer comme une toile recouverte de repentirs.

    Je voulais partir pour oublier la peinture, le paysage me la restitue parfaite, entière.

     

     

    Récit de la critique d’art

    Je suis allée hier dans l’atelier d’Olivier alors que toutes les toiles étaient prêtes avant leur départ pour l’exposition de Marseille. En rentrant, j’ai eu aussitôt la sensation que ça y est, l’artiste avait plongé dans le grand bain de la peinture.

    C’est quelque chose de rare lorsque, dans l’atelier, on éprouve une sensation d’évidence.

    Pourtant, en apparence, ces œuvres paraissent à peine différer de ce que réalise le peintre depuis quelques années. Il s’agit encore de paysages ; ceux-ci sont structurés de la même manière qu’auparavant, grâce à la ligne d’horizon qui nous les offre comme des objets de contemplations. Et l’on retrouve ce qui existait déjà sur les toiles plus anciennes : des motifs ajoutés à la surface, qui se posent sur le paysage sans lui appartenir tout à fait.

    Cependant, tout a changé.

    Ce n’est pas une question de technique, même si l’on s’aperçoit que la technique est tout particulièrement maîtrisée ; ni une question de sujet, même s’il ne fait plus aucun doute que c’est bien ce sujet-là, le paysage, et non un autre, qu’Olivier Masmonteil doit peindre.

    C’est simplement que le peintre a percé l’écran très ténu qui existait encore entre lui et la peinture. Il est désormais en complet accord avec la peinture elle-même, comme il l’est aussi avec le paysage. Et il n’a plus besoin d’aucun prétexte ni pour faire de la peinture, ni pour choisir le paysage comme sujet.

    La peinture comme technique et le paysage lui-même ne sont plus qu’une seule et même réalité.

    L’horizon

    Acrylique et huile sur toile – 2010 – 260x210cm

    Récit du peintre (extrait de son journal de voyage)

     

    « Les Marquises », French Polynesia.

    Il m’avait donné rendez vous à deux heures du matin sur la jetée de Taiohae. Avant d’embarquer, je ne pus m’empêcher de remarquer les entailles dans les dames de nage, probablement faites par le nylon frottant sur le bois, témoin de combats passés entre le vieil homme et la mer. Dans une odeur de poissons pourris et de gasoil brûlé, le bateau sortit de la baie. Le ciel semblait plus haut, les étoiles plus nombreuses malgré la présence de gros nuages lumineux.

    Après avoir passé les deux  » sentinelles », l’embarcation s’enfonça dans l’immensité du Pacifique. Au milieu d’un champ de vagues croisées, moteur coupé, Hitti me demanda de compter 14 brassées pour atteindre le courant profond où croisaient les thons jaunes. Toute la nuit les prises se succédèrent et alors que le fil taillait nos mains, soudain, à l’horizon, j’ai vu naître le paysage.

     

    Récit de la critique d’art

    Lorsque j’ai commencé à découvrir la peinture et son histoire, je regardais intensément les lignes d’horizon : je me demandais si les peintres s’en servaient comme un simple moyen technique ou si cet horizon les faisait aussi rêver, s’ils imaginaient ce qu’il pouvait y avoir au-delà, s’ils y représentaient des histoires particulières, s’ils y mettaient leurs croyances, ou ce qui n’avait pas sa place au premier plan du tableau.

    La peinture d’Olivier Masmonteil m’a fait comprendre beaucoup de choses au sujet de cette ligne.

    D’abord qu’elle est très profondément rattachée à la culture occidentale : avant d’être une invention de la Renaissance, elle est en effet la fameuse ligne de partage des eaux, décrite par le récit de la Genèse, à partir de laquelle est créé le monde. Si bien qu’il est difficile de s’en défaire.

    Je me suis demandé si le peintre pouvait construire ses paysages autrement qu’à partir d’une ligne d’horizon. C’est en effet ce que font les peintres chinois et japonais traditionnels. Mais cela reviendrait seulement à adopter une culture à la place d’une autre, et je ne pense pas que cela fasse nécessairement avancer.

    Et puis, j’ai finalement vu comment la ligne d’horizon évoluait dans la peinture d’Olivier Masmonteil.

    Au départ, ses paysages s’inscrivaient dans une tradition picturale où cette ligne était nécessaire. C’étaient des paysages que l’on contemplait en se tenant devant eux.

    Ensuite, avec sa série de paysages réalisés au moyen de multiples lignes horizontales, il en a fait le sujet même du tableau, ainsi qu’un outil plastique se chargeant de tout à la fois : de la construction du tableau, de sa lumière et de sa couleur. Il l’a rendue comme hystérique.

    Puis, avec son voyage autour du monde et sa série de 1000 paysages, il a épuisé ce qui se trouve devant l’horizon, il a fait le tour de ce qui peut être contemplé face à soi. C’est comme s’il s’était aperçu que les paysages se valent, ou presque, et que l’essentiel n’est pas réellement leur forme.

    C’est pourquoi, selon moi, ce qu’Olivier Masmonteil peint aujourd’hui, c’est l’AU-DELÀ de cette ligne d’horizon, comme s’il était passé dans cette merveilleuse zone de l’autre côté.

    Là, l’importance des formes s’amoindrit pour laisser place à un état de sensations pures.

    Mais l’on a encore besoin de la ligne, parce que sans elle la peinture n’existerait plus : elle maintient à elle seule les formes restantes, elle est comme une trace du néant à partir duquel émerge un tout. Elle peut absorber tout le paysage, ciel, mer et montagnes, ou tout régurgiter en une nouvelle création du monde.

    C’est pourquoi j’imagine aussi, de manière rêveuse, que les différents paysages de la peinture occidentale existent bout à bout, se tenant chacun derrière la ligne d’horizon de l’autre. Derrière l’horizon d’un paysage de Rubens, il y a peut-être un paysage de Ruysdael, ou de Poussin, ou un Masmonteil, ou tout cela ensemble. La ligne d’horizon, c’est la frontière entre un paysage de l’histoire de l’art et un autre, entre deux imaginaires.

    La mort

     

    Récit du peintre (extrait de son journal de voyage)

     

    « Isla del Sol », Titicaca Lake, Bolivia.

    Je savais qu’en partant, j’avais une chance d’oublier la peinture et de plonger dans le paysage. Mais en accostant sur l’île, c’est Arnold Böcklin qui semblait m’accueillir, et après avoir traversé les jardins en terrasse, il me sembla être passé dans le royaume des morts. En arrivant au sommet, face à la chaîne enneigée des Andes enveloppée dans l’air le plus pur, le temps semble s’être figé. Mais maintenant que le soleil se couche, je ne veux pas que la lumière disparaisse et que l’horizon s’éteigne.

     

    Récit de la critique d’art.

    Dans les derniers paysages d’Olivier, c’est la mort que j’ai sentie et c’est pourquoi j’ai eu la sensation qu’il avait touché l’essentiel. Non pas la mort comme pourrissement de la matière, ou comme obscurité glacée, ou comme arrêt, et certainement pas la mort comme représentation, mais plutôt la mort comme vide. C’est l’extrême fin de l’expiration, au point ultime où il faut que se produise un immense appel d’air.

    Ses dernières peintures sont nées de ce point.

    Désormais sa peinture a cessé d’être une construction.

    Auparavant, le peintre a dit tout ce qu’il avait à dire : son attachement à certains maîtres anciens et à d’autres maîtres contemporains, sa possibilité propre d’être un peintre du passé et un peintre du présent, sa compréhension du genre du paysage, sa capacité à renouveler sa technique, à jouer avec les couleurs, les glacis, les ciels nuageux, son plaisir maîtrisé et enfantin de peindre.

    Mais tout cela a été happé par le voyage et évacué dans la série des 1000 paysages. Sa peinture n’a plus besoin de démonstration.

    Face au très grand tableau brumeux réalisé d’après une vue bretonne, je me suis sentie happée puis enveloppée, prise dans une grande respiration, le vide appelant le plein.

    Pour moi, la mort n’est pas autre chose.

    Chamanisme

     

    Récit du peintre (extrait de son journal de voyage)

     » Rangitata Valley », New Zeland.

    Après quatre heures de piste, je pense être arrivé au bout de mon voyage. Cet endroit je l’ai rêvé, il me semble même l’avoir créé. Il n’y a personne, seules de hautes herbes en procession balayées par le vent. Un serpent turquoise dévale la vallée sur un linceul de galets taillés par la glace. Ma canne à la main, je marche des heures à la recherche d’un poisson mythique. Comme dans un rêve, j’avance immobile. Le silence est lourd et puissant, seulement brisé par les rafales de vents qui taisent les paroles d’un cantique inconnu que je me chante en psalmodiant. Tout en pêchant, je m’aperçois que je pleure, ni de peine ni de joie, je suis redevenu ce chasseur pêcheur cueilleur qui attribue aux éléments du paysage une force divine. Ce soir là, dans la lumière de la nuit, je me suis inventé des dieux et des déesses ; depuis, je les peins.

     

    Récit de la critique d’art

    Nous appartenons à une génération

    de mélancoliques, profondément liés au passé. Nous avons été élevés avec l’idée d’une hiérarchisation qui place le passé plus haut que le présent. Nous avons été nourris de récits anciens, des récits de la guerre ou même d’avant, que nous portons en nous sans parfois savoir s’il s’agit de nos propres souvenirs ou de ceux de nos ancêtres. Nous vivons aussi dans la nostalgie de notre petite enfance, d’un émerveillement et d’une fraîcheur bien présents, que nous pensons avoir été contraints d’abandonner.

    Nous ne voulons plus de cette hiérarchisation, nous souffrons d’avoir été enchaînés au passé, et nous voulons retrouver l’émerveillement. Mais en nous arrachant au passé, nous sommes pris d’une profonde mélancolie. Nous le pleurons car nous savons aussi que nous sommes les derniers dépositaires d’une certaine mémoire.

    Or tout cela, c’est la peinture d’Olivier Masmonteil d’avant son voyage.

    Mais aux pleurs de mélancolie doivent succéder des pleurs très doux, ceux du détachement. Ses dernières toiles sont très humides: eau, brume, … Elles sont remplies de larmes. Les larmes paisibles de qui atteint un état d’être.

    Il n’y a pas de figures humaines visibles dans ces tableaux, car le spectateur, comme le peintre, sont diffus dans l’œuvre. On est tous là présents à l’intérieur. C’est un état, le sien, le nôtre, qui est exprimé sur la toile.

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