Les révolutions sont douces pour que des trouvailles se transforment en travail des jours habités par cette production d’images, avec l’écriture, le dessin, le collage, des idées sont enfouies, comme des annotations dans des cahiers bien rangés relégués au grenier ou des billets sous un matelas ou dans les poches de l’hiver, c’est-à-dire qu’elles ressurgissent régulièrement et régulièrement sont réenfouies jusqu’à trouver leur nécessité.
Toujours encore, je me demande bien où ça se transforme entre ce qu’on attrape et ce qu’on fabrique. Par exemple, il y a le monde de dessin (le travail du dessin pense) et le monde qui me tombe dessus, qui m’apporte peaux, oripeaux sous forme de tissus et images que je trouve et que je garde, et intérieurs, pièces, couloirs de mémoire qui font des trous réversibles sous la forme de photos collées dans la peinture quand je la dessine directement sur le mur, elles ont alors le rôle d’un bord de revers, d’une doublure.
Pour apporter de nouvelles pierres à l’aide difficile (édifice d’images immergées), des affluents à mes sources d’aujourd’hui, il y a donc ces voies ensevelies (ou voix pour l’écriture) qui trottinent derrière mes bagages ou armoires, personnages d’héroïnes non endormies dans les morsures d’une mémoire collée vive, qui ont un genre et se donne un genre qu’elles choisissent elles-mêmes.
Je parle de mémoire car quand je vois une image ramenée d’une profondeur enfouie, ratissée, je la dessine immédiatement. Une urgence se fait sentir ou se laisse humer : c’est l’odeur du papier, alliée à celle, sur lui, d’archive légèrement moisie, de l’aquarelle. Je vois vraiment un dessin, pas une scène, pas une séquence comme un souvenir, pas une image en trois dimensions, ni rien d’autre, non, vraiment un dessin. Et du coup il y a une urgence face à la tâche qui m’échoit d’archiver ces images qui m’arrivent comme des évènements en cascades, d’où le stylo requis qui vient vite sous la main, le pinceau vers l’eau ou l’encre.
Sinon, pour dessiner, je ne me force pas à imaginer quelque chose, mais j’accompagne mes pensées le plus longtemps possible. Petit à petit, elles me mènent vers de nouveaux personnages qui me parlent d’une autre histoire que celle qui était prévue qui semble vouloir se libérer et s’épanouir. La pensée du dessin est ouverte comme quelque chose que l’on ne comprend pas juste parce que comprendre ne nous intéresse pas, et on peut en profiter pour faire le point, la ligne, le tiret, les traits. Ensuite vient la peinture en elle-même, c’est-à-dire le travail de la matière, la plus lisse, ou liquide, ou craquelante, ou crissante ou d’autre matière résultant de la vie de la tache, de la flaque, du trait.
Ma maison est volante, j’y passe très souvent sans vraiment parvenir à ce que ce soit la même qu’avant. J’ai du mal avec ses portes. S’il s’agit d’un monde de doublure, d’un lieu d’addition d’images toujours encore à inventer, d’une vaste épopée de filles pleines dans lesquelles rien ne saurait imposer clôtures à leur liberté sans censure, il s’agit aussi de redéfinitions et de promesses de mots doublés. Je continue, en fait je prolonge, je veux vivre ce que pour l’instant je n’arrive pas à transformer, et c’est comme ça que ça commence tout le temps, ce qui me hante me traverse dans la poussée ou la venue de sa construction, les choses énormément se déversent et leur développement comme une purée ponctuelle de choses redites ou sur/souvenues forment le présent de là où ça travaille en écrivant, en dessinant.