SOL. Mon corps vit sur le sol une gravité apaisante. Etre assis et contempler l’horizon. S’offrir du temps, le temps du repos. Oublier les sols négligés, oublier la terre qui recouvre les proches enterrés. Etre au sol, reposé. « Les Mots Propres » Petit dictionnaire autobiographique de Astiquer à Zen – RP – Edition augmentée 2010.
Marcher, observer, balayer, déblayer, passer, repasser, astiquer, témoigner, collectionner, telles sont les actions et inactions produites par Régis Perray (né en 1970, à Nantes) depuis le milieu des années 1990. La Galerie Gourvennec Ogor accueille sa première exposition personnelle de l’artiste, constituée de trois pièces fondatrices, accompagnées de photographies et d’installations plus récentes. De Nantes à Marseille, d’un port à l’autre, d’un bout du monde à un autre.
Régis Perray a les pieds sur terre. Sa pratique découle d’une association entre son attachement au monde du travail, plus particulièrement aux métiers en lien avec la modification des sols, et son approche sensible des chemins qu’il emprunte. En exote passionné et responsable, il traverse des lieux, où chaque fois le sol est mis en perspective avec son expérience d’un territoire délimité. Un sol pavé, bétonné, caillouteux, poussiéreux, carrelé ou recouvert de parquet. Chacun d’entre eux détermine l’empreinte du site qu’il va sonder. De la France à l’Egypte, en passant par la Pologne, la République Démocratique du Congo ou la Corée du Sud, il arpente les sols comme les témoins d’une culture et d’une histoire auxquelles il souhaite se frotter au sens propre comme au figuré. Pour cela il s’impose un processus, un rythme, qui va lui permettre d’être, le temps d’un séjour, en harmonie avec le lieu choisi. Grâce à une gestuelle simple, répétée, il alterne entre efforts et temps de repos, pour vivre l’espace avec lequel il dialogue discrètement.
Cette nouvelle exposition présente, entre autres, trois œuvres produites à partir d’une archéologie personnelle des sols. Via la photographie, la vidéo et la sculpture, Régis Perray compile et classe ses collections d’images, de traces et de signes. Le Mur des Sols (1995-2012) est le fruit d’années de recherches iconographiques durant lesquelles il a rassemblé des cartes postales, des images de presse et des cartes topographiques. Des documents en lien avec les sols du monde, classifiés en plusieurs groupes : engin, travail, guerre, sport, cimetières, sacrés, etc. Mis bout-à-bout, les groupes constituent un ensemble qui mesure aujourd’hui plus de 40 mètres. À Marseille, sont présentés 14 mètres d’images, accrochés de manière à ce que chaque visiteur puisse embrasser tous les visuels. Une accessibilité qui permet une prise en compte individuelle de chaque document par tous. Le Mur des Sols est une cartographie évolutive, mentale et concrète qui synthétise les recherches de l’artiste. La mémoire des lieux est bien au cœur de son projet artistique.
À cette carte murale correspond une carte matérielle disposée sur le sol de la galerie. Les Bouts du Monde, œuvre qui donne son titre à l’exposition, est formée de déchets de bronze disposés sur le sol de la galerie. Lors d’une résidence en Franche-Comté, il a travaillé dans un atelier voisin d’une fonderie de bronze, qu’il a apprivoisé et côtoyé tous les jours. Lors des coulées, des jets de métal liquide ont formė des déchets solides sur le sol. Alors, a débuté une collecte de ces rebuts, puis il a fait couler le bronze liquide directement sur le sol pour obtenir des plaques plus grandes. Il a conservé ainsi plus de trois cents morceaux de tailles différentes, articulés au lieu d’exposition et envisagé comme des îles supplémentaires, des bouts du monde, en plus. Des îles nées du hasard qui ont donné vie à une cartographie imaginaire et relationnelle.
Enfin, la vidéo Serial Floors (2006-2008) compile le résultat du visionnage journalier de 70 séries policières diffusées à la télévision, sur une durée de 24 mois. Deux années où sur son petit écran sont apparus 549 cadavres, allongés sur des sols, tous différents les uns des autres. Des surfaces multiples faisant écho à un drame et à l’histoire de ces personnes fictivement assassinées. Une fois de plus, l’artiste s’est tenu à un processus précis et exigeant pour extraire de ces sols télévisuels comme un épisode de 52mn où mort, histoire, mémoire et zones matérielles s’entremêlent et produisent du sens.
C’est par le simple contact de notre corps avec le sol que nous ressentons et découvrons l’espace que nous traversons. À partir d’une constatation évidente et essentielle, Régis Perray décortique et prolonge sa relation avec l’espace. Le temps d’une résidence, d’une exposition, d’un voyage, il enclenche un processus relevant de la chorégraphie et partage un moment de communion, intense et modeste, entre son propre corps et le lieu. Les sols sont les témoins éphémères d’un monde en chantier, entre construction, destruction et reconstruction. Ils sont la surface visible et concrète d’une histoire aux couches multiples, superposées, que l’artiste tente de décoder. Subtilement, il nous invite à prendre conscience de notre propre histoire.
Texte de Julie Crenn (Février 2012)
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Régis Perray – Pieces of the world
FLOOR – Lying on the floor, my body experiences a soothing gravity. Sitting up and contemplating the horizon. Forgetting the neglected floors, forgetting the earth which blankets buried close friends. Lying on the floor, well-rested. « Les Mots Propres » Little Autobiographical Dictionary from Astiquer to Zen – RP – New edition 2010.
Walking, observing, sweeping, clearing, going past, going past again, polishing, testifying, collecting, here are some activities and inactivities produced by Régis Perray since the mid-1990’s. The Gourvennec Ogor Gallery is hosting his first personal exhibition, composed of three founding sections, together with more recent photographs and installation artworks. From Nantes to Marseille, from a port to another, from one end of the world to the other ?
Régis Perray’s feet are firmly planted on the ground. His practice results from a combination of both his attachment to the working world, especially to trades linked with the modification of floors and his tactile approach. As a passionate and involved foreigner, he goes through places, where every time, each place is put into perspective with his experience of such a demarcated territory. Paved, concrete, stony, dusty, tiled or inlaid wooden floorings. Each one of them determines his reaction to the site he is about to probe. From France to Egypt, Poland to the Democratic Republic of the Congo or North Korea, he strides over floors that signify a culture and a history he wishes to interact with, literally and figuratively. With this aim in mind, he conditions himself and accepts rhythm that enables him to temporarily stay in harmony with each place.
This new exhibition shows, among other things, three works produced from a personal floor archaeology. Via photography, video and sculpture, Régis Perray classifies his collection of pictures, objects and signs. Le Mur des Sols [The Wall of Floors] (1995-2012) is the fruit of years of iconographic research, years during which he gathered together postcards, press clipings and topographic maps. They are all documents linked with floors around the world, categorized into several groups : vehicles, work, wars, sports, graveyards, sacred, etc. Placed end to end, these groups combine to form a set which today is more than 40 metres [130 ft] long. In Marseilles, 14 metres [46 ft] of pictures are exhibited, they are hung to enable each visitor to take in all the images. This accessibility enables everyone to take into account each item. Le Mur des Sols is a mind-altering and objective map and an encapsulated vision of the artist’s research. The memory of places is the heart of his artistic project.
This wall map relates to a physical display set on the gallery’s floor. Les Bouts du Monde, work which gives its name to the exhibition, is composed of bronze fragments laid on the gallery’s floor. As artist-in-residence in Franche-Comté, he worked in a studio near a bronze foundry, with which he became familiar and came to know every day. During the casting, jets of liquid metal formed solid scraps on the floor. Then, he started to collect the discards, and cast liquid bronze directly onto the floor to obtain bigger images. He thus kept more than three hundred pieces of different sizes. These are now part of the exhibition and considered as additional islands, pieces of the world. Islands born by chance, bringing to life a related but imaginary map.
Finally, the Serial Floors (2006-2008) video compiles the result of a daily watching of 70 TV detective shows, during a 24 month period. From the screen he recorded 549 corpses lying on floors, each different, echoing the tragedy and the story of these fictitious murders. Once again, the artist keeps to a specific and demanding process in order to extract from these TV floors a brand new 52 minute-episode in which death, memories and material areas become inextricably linked and create meaning.
By the basic contact between our body and the floor, we feel and discover the areas which we are crossing. In light of an obvious and key observation, Régis Perray defines his relationship with space through key observation. During the period as artist-in-residence, at a exhibition, or on a trip, he engages in a process of choreography and indulges in an intense and self-effacing communication between his body and the place. Floors become ephemeral evidence of a world in progress, linking construction, destruction and reconstruction. They are the visible and tangible surfaces of history with multiple and superimposed layers, which the artist attempts to decode. Subtly, he invites us to become aware of our own history.
Julie Crenn (February 2012).
Traduction by Fanny Sainte Rose