Du 02/09/2012 au 03/11/2012
JULIEN FRIEDLER
Les Disparus
Project Room : David LASNIER « Can You Fill It? »
Avec Les disparus, l’artiste belge Julien Friedler signe sa première exposition personnelle à la Galerie Gourvennec Ogor à Marseille. Confrontant le spectateur à une série de photographies prises ce printemps dans son atelier bruxellois, l’artiste nous emmène aux confins intimes de son œuvre, dans le cercle privé de sa mémoire d’homme et d’artiste.
En dévoilant les marques d’un processus créatif ardent, irradiant l’espace de matériaux et de pigments, de corps et de signes ; l’artiste nous dévoile son champ de bataille intérieur. Un lieu où les forces s’entrechoquent, où les idées et la matière se travaillent à même les murs, où les souvenirs de l’homme et l’activité de l’artiste se confrontent dans un mouvement violent, dont l’espace porte les stigmates.
Il est à remarquer qu’aucune peinture réelle n’apparaît sur les photographies. Seules des traces de leur existence sont visibles, tels les vestiges d’une œuvre dont on ne sait si elle est réellement achevée ou non encore terminée. L’artiste non plus n’apparaît pas, il n’est présent que par sa propre absence.
Ce que les disparus nous donne à voir, c’est la disparition comme phénomène. Disparaître n’est pas mourir. La disparition est le sentiment confus d’une perte sans explications, la sensation d’un effacement incontrôlable de ce qui n’est plus là, mais dont on ressent vigoureusement la présence. Disparaître, c’est sortir du temps.
Il est utile de savoir que Julien Friedler est né dans une famille juive en 1950. Il a passé son enfance dans un environnement psychologique et familial bouleversé par l’expérience traumatisante de la Shoah. Il s’est construit dans les séquelles de l’histoire, confronté depuis toujours au poids du vécu, aux cicatrices de la mémoire. On ne s’étonnera pas de trouver dans cette exposition, une référence à ce temps là, symbolisé par une une poupée, marquée d’une étoile jaune, au milieu du visage. Une poupée présentée physiquement dans l’espace d’exposition, que l’on retrouve virtuellement dans les photographies, en train de disparaître.
Le temps est une notion centrale dans la démarche plastique de Julien Friedler. A l’évidence, celui-ci n’est pas traité comme une suite d’événements linéaires, mais pris en compte comme une masse agissante, un matériaux à part entière qui participe pleinement du processus créatif. Pensons aux plate-formes participatives que l’artiste a mis en place dans les années 2000, et dont les protocoles de créations s’étendent sur des dizaines d’années, au delà de sa propre vie.
Un temps qui pourrait aussi se révéler foudroyant ; l’espace d’un regard qui trébuche ; l’instant où le tableau se perd ; car la poupée s’éloigne et l’artiste s’efface, pour devenir : « un disparu parmi les autres ».
Erno Vroonen
Commissaire international, scénographe de l’exposition (Traduction Edwin Lavallée)
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Project Room:
David LASNIER « Can You Fill It? »
Cher David,
Déjà à l’époque du « Point à la verticale du centre de la Terre » (2010), tu commençais à m’inquiéter. Quelle mouche t’as piqué cette fois, de t’en prendre si directement aux mathématiques ? Ne crains-tu pas qu’en te mesurant ainsi à leurs lois et ses concepts, l’effort, considérable, ne tourne inévitablement à ton désavantage ? Tu m’as depuis longtemps fait part de ton utopie d’un art libéré de l’exercice trop flagrant de la volonté individuelle, de ton souhait de substituer à l’arbitraire dégoulinant des pulsions expressives la souveraine et austère nécessité logique. Ambition qui te rattache d’ailleurs pleinement à une prestigieuse lignée d’artistes protestants. Mais là, excuses-moi, avec tes « chemins auto-évitants hamiltoniens sur une grille carrée », tu exagères !
Un grand gaillard comme toi ne devrait plus se laisser aller à de tels enfantillages, sous peine de révéler à un public sans protection une candeur trop obstinée, et de te voir directement rangé dans la catégorie des don Quichottes borgésiens. Tout le monde risque de sentir une disproportion certaine entre la mécanique pataude de tes gestes trop humains, et l’immensité rigoureuse, infiniment fluide et quasi-céleste de l’ensemble mathématique auquel tu confies justement de guider tes gestes !
Mon ami, fais attention : épuiser les possibilités d’un système jusqu’à épuiser son désir, aboutit au mieux à la jubilation zen de l’ultime détachement, au pire à la plus fade déprime à-quoi-bonniste. Le chemin est étroit.
En revanche, je vois bien que dans ton labeur mécanique, tu retrouves sournoisement le plaisir de la variation du motif, le vertige ornemental, l’orgasme décoratif ! Petit coquin !
David, franchement, au lieu de te fourvoyer encore une fois dans de si colossales, herculéennes entreprises, en même temps si dérisoires, en un mot sysiphéennes, tu ferais mieux de te remettre aux sudokus ! Tu gaspilles ton temps, tu oublies de vivre, tu perds ta jeunesse, tout ça pour finir dans les galeries d’art contemporain ! Non vraiment David, ça n’est pas sérieux. Qu’en disent tes amis mathématiciens ? Voient-ils d’un bon œil le déplacement que tu opère de leur domaine au nôtre ? Comment perçoivent-ils tes superbes mires sombres, tes élégants échiquiers noirs, surfaces striées quadrillées glorifiant d’un éclair leur loi propre ?
A moins qu’il ne s’agisse d’une manière particulièrement contournée de neutraliser ton propre égo artistique, en montrant ostensiblement qu’il n’y a rien à voir, en énonçant haut et fort qu’il n’y a rien à dire, rien d’autre que ce qui est. Si c’est le cas, je crois bien que tu arriveras un jour à devenir cet idiot souverain, en continuant à te lancer à corps perdu dans ce genre d’action obstinée et grandiose, condamnées au ratage et à l’incompréhension ! Oui David, tu appartiens bien au type du « héros moderne », tel que l’a défini un jour Jacques Lacan : une figure « qu’illustrent des exploits dérisoires dans une situation d’égarement ».
Combinatoirement
Boris Nicot
Boris Nicot, artiste visuel et auteur, a publié dans les revues Esse ; Semaine ; Reprise et l’Écho des Écrans d’essai.
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The Lost Ones
“ The Lost Ones “ is the first one person exhibition of the Belgium artist, Julien Friedler, at the Gourvennec Ogor Gallery in Marseille. In this series of photographies taken in the artistʼs studio in Brussels last Spring, the artist confronts the viewer and takes him right into the closest intimacy of his work, within the most private circle of his memory as a man and as an artist.
In revealing the marks of an ardant creativity process, illuminating the space with materials and pigments, corps and signs; the artist unveils the dueling forces within himself. A place where the forces fight with each other, where the thoughts and the materials are worked directly onto the walls, where the souvenirs of the man are confronting the artist activity with a violent movement, whose stigmas are engraved in the space.
One will notice that no real paintings are seen in these pictures. Only the outlines of their existence are visible, such as the remains of a work which we do not really know whether it was finished or still in progress. The artist is not shown either, his presence is marked by his own absence.
The only thing that “ The Lost Ones “ is showing us is disppearance as a phenomenum. To disappear does not mean to die. Disappearance is the confused feeling of a loss without any explanations, the sensation of an uncontrollable erasure of something that is no longer there, the presence of which however is very intense. To disappear means leaving the time.
It is significant to know that Julien Friedler was born in 1950 from a Jewish family. He was raised in a psychological and family environment that was marked by the traumatic experience of the Shoah. He built himself within the sequel of History, forever confronted by the weight of the past, the scars of the memory. Therefore it shouldnʼt come as a surprise to find in this exhibition a reference to that time symbolized by a soft doll, marked in the middle of the face by a yellow star, a doll physically present in the exhibition, that is represented virtually in the pictures, slowly fading away.
Time is a central factor within Julien Friedlerʼs approach to his artworks. Time does not progress as a succession of events in a linear manner, but it rather is used as an active matter, a media in itself that fully participates to the creativity process. See the platforms that the artist has already established since the years 2000 which protocols of creation are spreading over decennies, way beyond his own lifetime.
A time that could also reveal itself terrible; a glimpse that stumbles; an instant where the painting gets lost; because the doll is rubbing off and the artist is fading away only to become : “a lost one among the other ones”.
Erno Vroonen, International Curator, Designor of the exhibition.
Translated by Gabrielle Bryers
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Dear David,
Yet, at the time of « a point vertically aligned with the centre of the Earth » (2010), you started worrying me. What’s gotten into you, this time, to take it out so directly on the mathematics? Don’t you fear confronting their laws and concepts, the -considerable- effort, would turn to you disadvantage? For a long time, you’ve confided me your utopia of an art freed from the too obvious exercise of the individual will, your wish to substitute to the dripping arbitrary of expressive drives, the sovereign and austere logical necessity. Ambition that, by the way, fully connects you to a pristine line of protestant artists. But, here, excuse me, with you « self-avoiding paths on a square grid », you go too far!
A tall fellow like you shouldn’t let rip to such childishness, at the risk of revealing to a protection-less public, a too stubborn ingenuousness, and to be directly ranked in the category of the borgesian don Quixotes. Everybody could feel a certain disproportion between the clumsy mechanic of your too human gestures, and the infinitely fluid and quasi-celestial rigorous vastness of the mathematical group to which you precisely attribute the guidance of your gestures!
My friend, beware: to exhaust the possibilities of a system until exhausting its desire, at the best leads to the zen jubilation of ultimate detachment, at the worst, to the dullest a-quoi-bonniste break-down. The path is tight.
On the other hand, I can clearly see in your mechanical labor, that you sneakily restore the pleasure of the pattern variation, the ornamental vertigo, the decorative orgasm! You naughty little man!
David, honestly, instead of straying once more into some so colossal, herculean, and in the same time so absurd, in one word sisyphean ventures, you should go back to the sudokus! You waste your time, you forget to live, you waste your youth, all this to end up in the contemporary art galleries! No, really, David, this is not serious stuff. What do your mathematician friends say about that? Do they look favorably the displacement you operate from their field to our? How do they perceive your magnificent and dark test patterns, your elegant black chessboards, streaked sparkly gridded surfaces glorifying their proper law?
Unless it concerns, in a peculiarly convoluted manner, the neutralization of your own artistic ego, by conspicuously showing there is nothing to see, by expressing loud and clear there is nothing to say, nothing except what is. In this case, I believe one day you will succeed becoming this sovereign idiot, by keeping on throwing yourself headlong in such stubborn and grandiose action, condemned to failure and inapprehension! Yes, David you really belong to the type of the « modern hero », as Jacques Lacan once defined it: a figure »whom ludicrous exploits exalt in circumstances of utter confusion.’
Combinatorially
Boris Nicot
Boris Nicot, visual artist and author, has published in reviews Esse ; Semaine ; Reprise and l’Écho des Écrans d’Essai