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  • Florent Joliot
  • « Anabase et compagnie » par Florent Joliot
  • VERS L E L A R G E
    par Emmanuel LOI

    Le dire n´est pas le dit.
    Heidegger

    Les réactions nerveuses d´un corps, et certainement, par là, son métabolisme, sont étroitement liés à l´ensemble de ses représentations, s´ils n´en dépendent pas directement. Cela doit être admis pour établir moins la valeur que la signification vitale de chaque métaphysique, son incidence en termes de forme-de-vie.
    Contribution à la guerre en cours
    Collectif Tiqqun
    Certains travaux raffûtent au fond de nous des homologations dépassées, qui se retrouvent à l´instar de leurs découvertes, détrônées. Tout est alors question de surdité : ai-je à peine entendu ce qui me surprend ? N´ai-je vraiment pas vu ou croisé de tels éléments qui, hors de cet agencement, ne me parlaient pas vraiment ?
    A une remise en question du corps qui ne voit plus rien, Florent Joliot met en place un dispositif qui dialectise le hors champ, la visibilité encourue à moindre frais et une certaine indigence due au talent. Ce qui est montré chez Daniel Roth rue d´Aubagne vaut le déplacement, déplace la valeur d´exposition par une ébauche de déréalisation quant à la mainmise du regard.
    Peu de pièces dans un espace restreint. Une photo-dalle où une icône préraphaélite joue avec une sage perfidie du regard sans crainte de la béatitude, spectre figé de la stupeur oculaire, le clin d´oeil au chien andalou de Bunuel fonctionne. Le désir est revêche, il ne concerne que le caché, ce qui demeure en réserve.
    Réductions et anamorphoses jouent le rôle de régulateurs. Là, le portrait a été agrandi, l´on pourrait dire quantifié que davantage qualifié. Trop de beauté revient à une obésité, une nourriture trip riche qui coupe le sifflet telle une fille trop belle pour soi, que l´on n´ose pas aborder et qui reste désespérément esseulée. A-t-on vraiment envie de goûter à l´odeur acide de cette crinière rousse ?
    Rien n´est moins sûr tant le mystère est donné, se prosterne profané dans une ostentation délibérée.
    Une vidéo en boucle d´un jupon suspendu sur un cordage du Panier séduit inexorablement.
    Méduse ou corolle, le battement cardiaque du promeneur éberlué qui sait lever la tête et courir chercher sa caméra fait de l´amoureux de la rue un observateur irradié. Florent Joliot possède une qualité rare chez les tenants de l´objectivité. Il sait se déplacer, ne craint pas l´essaim de signes qu´il butine et parcellise à volonté, il prend le parti liant de montrer peu. Décentrement, resserrement, synecdoque. Il a vu, sait voir, et surtout ne sait plus voir. La robe du discours accompagne la maîtrise et le brio malgré tout tentateurs. Quand il saura se passer de la glose didactique qui étouffe la perception, il y gagnera en dignité et en simplicité.
    Le morceau de choix — pour parler comme les équarisseurs du goût — réside dans un triptyque de trois photos tirées sur métal. Accrocheurs et ténébreux, aguicheurs et serrés, la première impression a tendance à occulter les autres remembrances. Le spectateur, promeneur ou rêveur, est dans l´expectative, il perçoit et appréhende des forces impassibles dont il ne reste que l´empreinte gommée, l´aura en voie de disparition ou de reconstruction mentale. Le travail onirique de recomposition de l´objet  — la question de Kant reste ouverte : l´objet existe-t-il en dehors de sa définition ?  — jouit de plusieurs aires de lisibilité qui s´enchevêtrent. La brume des fins de terre, pointe au Portugal la plus avancée de la vieille Europe qui jette son appel vers l´Ouest dans la voracité des avenirs extorqués à fin d´Empire, un monument aux morts qui marque et redouble cette chasse au fantasme incantatoire de la fuite en avant, d´horizons lointains qui soient autant de nouveaux paradis et un élément trouble par excellence, indéfini et désincarné, la bruine sur un chemin qui mène au nuage. Une absence majestueuse. Savoir se rendre absent, qu´un artiste dépose en faveur du latent, de la condensation extrême de ce qui meut, résidant à terre ou en maîtrise et le brio malgré tout tentateurs. Quand il saura se passer de la glose didactique qui étouffe la perception, il y gagnera en dignité et en simplicité.
    Le morceau de choix — pour parler comme les équarisseurs du goût — réside dans un triptyque de trois photos tirées sur métal. Accrocheurs et ténébreux, aguicheurs et serrés, la première impression a tendance à occulter les autres remembrances. Le spectateur, promeneur ou rêveur, est dans l´expectative, il perçoit et appréhende des forces impassibles dont il ne reste que l´empreinte gommée, l´aura en voie de disparition ou de reconstruction mentale. Le travail onirique de recomposition de l´objet —  la question de Kant reste ouverte : l´objet existe-t-il en dehors de sa définition ? —  jouit de plusieurs aires de lisibilité qui s´enchevêtrent. La brume des fins de terre, pointe au Portugal la plus avancée de la vieille Europe qui jette son appel vers l´Ouest dans la voracité des avenirs extorqués à fin d´Empire, un monument aux morts qui marque et redouble cette chasse au fantasme incantatoire de la fuite en avant, d´horizons lointains qui soient autant de nouveaux paradis et un élément trouble par excellence, indéfini et désincarné, la bruine sur un chemin qui mène au nuage. Une absence majestueuse. Savoir se rendre absent, qu´un artiste dépose en faveur du latent, de la condensation extrême de ce qui meut, résidant à terre ou en partance, voilà quelque chose qui va droit à l´âme.
    Il est toujours possible de rejeter la poétique, d´arborer une froideur méticuleuse et de persévérer à châtier les points de bascule dans une esthétique de combat contre le libéralisme. Joliot n´en a cure. Il ne croit pas à la Terre promise de l´hyperréalisme, se défie dans son coin de la croyance dans les messages héliportés de la libération du signe. Il laisse en suspens, réhabilite l´ellipse et va chercher assez loin dans la traversée des apparences de la mélancolie. Du côté d´Odilon Redon, de Kaspar Friedrich mais aussi étonnamment du cinéma de Manoel de Oliveira et de la plume terrible de Thomas Bernhard. Du vague à l´âme matérialisé par des balises de détresse et des messages de tendresse.
    Le traitement plastique de l´imperceptible laisse place à une musicalité sèche et plus farouche qu´il n´y paraît : s´il n´y a rien à voir, ou si peu, si un monde sans légendes s´exhibe et oblitère le caractère vraisemblable de la mémoire ou de la trace, c´est que nous avons perdu en magie. Le voyeur a tué le voyant. Nous avons oublié nos sources. Nous répugnons à être traversés.

    E.L.
    Florent Joliot
    U+2641- L´ Anabase
    Installation, Photographies

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