Ma démarche se situe dans le projet de faire un art d’une grande simplicité qui coupe avec toutes les approches narratives, pseudo-socio-ethnologiques ou expressionnistes actuelles, donc de faire un art accessible à tous par une EXPÉRIENCE directe avec la couleur. Il y a, en quelque sorte un retour à l’expérience de la perception de l’ œil comme donnée première.Je joue avec les couleurs comme on joue avec les notes dans les musiques minimalistes, c’est pourquoi, je parle d’ajustement et d ‘assemblage de couleurs, j’ai recours à des programmes de combinatoires ( c’est là ma référence aux théories des ensembles en mathématiques)Il n’y a donc pas de jeux d’harmonie, ni de signification mais un usage factuel de la couleur selon des règles simples s’appuyant sur les principes structurels de la chromatique des couleurs. Cela veut dire que je privilégie l’excellence de l’intensité chromatique d’une couleur comme règle objectiviste du travail. C’est en fait le principe fondamental d’un art pragmatique.
Pour mieux affirmer la valeur objective du travail de la couleur, je peins mes couleurs sur des supports de bois, afin de la matérialiser physiquement dans un objet ordinaire.
Dans ce travail, il y a une rupture avec mes travaux antérieurs où la métaphysique de la couleur constituait le sens des couleurs. Or aujourd’hui j’essaie de me détacher de cela pour construire les couleurs sur des questions physiques des teintes pures et de leur énergie lumineuse, et pour donner à voir non pas des choses cachées, mystérieuses, mais pour proposer une expérience positive, vitaliste, au spectateur.
Pascal Fancony, oct. 2012
Qu’est ce que peindre à l’heure du pragmatisme ?
Une telle question peut paraître sans intérêt ou dépassée, tant est fort son refus pour certains, et, tant cela est pour d’autres contraire à leur éthique de la liberté de création.
En France, le pragmatisme est souvent sujet à rejet, et dans le monde de l’art il l’est d’autant que nous sommes en présence d’un monde qui dénie sans cesse l’idée même de faire de l’art par une forme d’effacement de la subjectivité du peintre. Une grande partie des artistes et du public s’oppose à tout projet de système, d’une fondation du travail sur des protocoles comme principe pour donner accès objectivement au réel.
Nous convenons donc que la peinture est expérience de la couleur et que c’est cela même qui en définit les qualités esthétiques par lesquelles nous différencions un travail artistique d’un travail ordinaire.
L’objectivisme artistique est possible en ceci que le peintre doit s’effacer de tout jugement subjectif sur les formes matérielles de la peinture. Il doit se démarquer de tout lyrisme par lequel il donne souvent trop d’incarnation à telle ou telle matière, forme et couleur, déniant au spectateur sa part d’aventure.
Aussi, je m’essaie à dire ce qu’est une œuvre artistique, et en premier chef une œuvre de peinture, qui interroge les rapports entre les énoncés traditionnels, historiques de la peinture, et une œuvre pragmatique, qui doit s’adonner à dévoiler dans le réel objectif de son médium les ancrages d’une symbolique du réel.
Ainsi, la peinture étant un genre académique demeure un objet qui a peu évolué au cours du XX ème siècle malgré ses appartenances constantes aux mutations et ruptures des courants avant-gardistes qui n’ont eu de cesse de déclarer sa mort prochaine. Ainsi énoncées les convenances traditionnelles de la peinture, mon constat passe obligatoirement par la reconnaissance d’une permanence des moyens, des supports, des matériaux , des couleurs.
Le tableau en tant qu’objet physique n’est pas mort, il demeure un lieu privilégié d’expérience et en particulier pour la couleur.
Le tableau objectif, c’est quoi ? . Un objet physique , tridimensionnel fait d’un châssis et d’une toile tendue, qui malgré les nombreuses tentatives de destruction, ou de déconstruction, prévaut encore.
Donc, c’est de ce constat qu’il faut repartir pour énoncer le processus à partir du quel je peux construire un système de production objectiviste.
En premier chef, le tableau a un format, généralement carré ou rectangulaire. Dans ma pratique, Je m’intéresse surtout au carré et au double carré.
En deuxième lieu, ce format détermine une surface plane , qui a cessé d’être la métaphore de la fenêtre, ouverture sur un monde en perspective au propre et au figuré, qui relève d’une relation imagée du réel, tandis que le travail objectiviste a pour projet le dévoilement des structures symboliques des réalités concrètes cachées, inaperçues…
Le travail artistique vise donc à interpeller la formation de l’œuvre dans une forme de souci de faire langage, à partir de la question de l’agencement de matériaux constitutifs de la peinture mais extérieurs à la représentation d’un récit de soi.
La démarche du peintre est dans un parti de voir, lire, interpréter des rapports entre les premiers percepts des formes et couleurs et les jeux d’agencement ou d’ajustement, afin de mettre en lumière des formations nouvelles de percepts qui ne sont qu’émergences.
Ces liaisons sont à distinguer du travail de métaphore qui est la représentation imagée de la subjectivité de l’auteur, tandis que l’œuvre pragmatique est le fruit d’une mise en lumière de la réalité des potentialités soumises à des jeux de règles et de multiples combinatoires . La démarche objectiviste produit de la variation et de la diversité, et non de l’œuvre unique.
P.F. JUIN 2012