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  • Julie Darribère Saintonge
  • Marginalia – Julie Darribère Saintonge
  • Marginalia - © julie Darribère Saintonge 2013

    Brunch et visite guidée pour les enfants le dimanche 22 septembre de 13h à 17h.


    On a souvent joué sur la polysémie du mot « amateur », notamment en remontant à la racine : celui/celle qui aime. Or si Julie Darribère Saintonge revendique un certain intérêt pour une pratique amateur, c’est sans doute qu’autre chose est en jeu. A l’origine des formes et des figures qu’elle utilise se trouve en général un médium ou une technique particulière exécutée en réduisant au maximum les intermédiaires. Réduire les intermédiaires cela implique plus de contrôle et de liberté, mais aussi moins d’expertise.

    Il faut donc tâtonner, expérimenter des gestes, les limites physiques, matérielles ou chimiques. Concrètement, ces derniers mois Julie Darribère Saintonge a par exemple réalisé de nombreux essais utilisant d’anciens procédés de tirage photographique : cyanotype ou tirage au papier salé. Ces techniques archaïques sont réservées maintenant à quelques passionnés, essayant de reproduire scientifiquement des gestes inusités. Mais Julie Darribère Saintonge s’emploie à tester les limites de ces procédés, cherchant le point précis où pour un cyanotype par exemple, la teinte bleue typique vire vers un marron indéterminé.

    Pareillement, si la littérature et l’écriture ont toujours accompagné ses travaux, c’est finalement au travers du travail de la pâte à papier, du matériau constitutif de la page, qu’elles apparaissent de la manière la plus probante. Une pièce ancienne annonçait déjà ce geste, quand elle effaçait un texte de Tarkos, puis écrivait dans les interlignes, pour assembler le tout dans un livre semblable en tout point à l’original publié chez P.O.L. , mais on l’aura compris, réalisé entièrement à la main. Le titre de sa première exposition monographique laisse entendre qu’il existe une certaine filiation avec cette pièce plus ancienne : Marginalia, ou les notes manuscrites en marge d’un texte. Mais l’artiste porte aujourd’hui son attention toute entière sur le matériau même, et c’est désormais dans une forme plus directe que l’on retrouve le lent travail d’effacement et de recréation d’un texte subliminal.

    Sans doute pourrait-on y voir une certaine nostalgie voire un fétichisme du geste artisanal. Pourtant ces interrogations recoupent des questionnements bien actuels à l’heure de l’open source, de l’imprimante 3D et des fab-labs. Ces technologies de pointes évoluent dans un nouvel écosystème, s’adaptant à l’individu plutôt que l’inverse, et s’inventent au fur et à mesure de leur usage, de main en main. Qu’elle soit revendiquée ou non par l’artiste, la coïncidence ne saurait être fortuite.

    Comme on l’aura remarqué, de prime abord au vu de la photographie Pawtuxet qui sert à illustrer l’exposition , la main tient un rôle central, non seulement dans l’agencement des pièces présentées ici à la galerie Karima Celestin, mais bien au-delà dans le travail de Julie Darribère Saintonge en général. La main c’est l’intelligence de la matière, c’est l’art en train de créer empiriquement ; c’est aussi l’intimité et l’empreinte unique d’un individu. La main est autant un outil distancié qu’un nœud qui garde enfouis souvenirs et émotions. D’ailleurs les gestes du quotidien ou les gestes du professionnel ne sont-ils pas automatisés et sédimentés comme nos souvenirs enfouis ?

    Julie Darribère Saintonge, qui avant ses études aux Beaux-Arts de Paris a étudié la danse contemporaine, le sait bien : pour voir un geste dans toute son ampleur, il faut le débarrasser de ses habitudes. Il faut alors repérer ce que l’on ne sait plus voir après tant de répétitions, pour que le geste s’effectue comme s’il n’avait jamais existé auparavant et se révèle enfin.

    Ce travail n’est pas très loin de celui du travail psychanalytique, qui consiste à ajourer l’enfoui, l’assimilé, pour pouvoir passer outre et redevenir, à soi-même, lisible.

    Pareillement si la page est devenue blanche, c’est qu’elle a été littéralement débarrassée de l’encre des textes qu’elle a portée. Mais de toute évidence, ce vide est surtout plein de toutes ces expériences qu’a traversées l’artiste.

    Florent Delval

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