J’ai retenu tableaux et sculptures pour leur économie minimum, économie n’engageant qu’un ou deux gestes plastiques (le recouvrement monochrome, le moulage, l’inscription typographique), gestes de première urgence aux origines historiques aisément identifiables.
S’agit-il pour autant d’une réflexion amusée sur l’écriture collective à l’heure de l’exposition personnelle ?
D’une rêverie supplémentaire sur la Mort de l’Auteur ?
Les sculptures donnent sur les tableaux comme autant de points de vue familiers, de fragments mobiliers et pour un peu, on y prendrait place comme si de rien était. Elles ont depuis longtemps opté pour le ready-made assisté (l’assistance du ready-made ?) contre ce diable de formalisme, ses manipulations parodiant le combinatoire d’un voyagiste français :
Le Bonheur couché, Le Bonheur debout, Le Bonheur assis*. Un peu à gauche, un peu à droite, démonstration diffuse.
Au contraire, une des 54 pièces (2012), The X on the windows (2011)Campsite (2013), Limpiabotas (2013), Gravure (1993-2013) s’affirment comme autant d’expériences concentrées.
Les tableaux (sans titre, 2011-2013) et la série d’aquarelles (Vite, 2006-2012) sont, quant à eux, résolument bruyants.
Ils empruntent au brouhaha médiatique et à l’Histoire de la peinture abstraite, citations incomplètes,onomatopées, néologismes, traductions approximatives.
En filigrane, s’exprime la conviction d’appartenir à un territoire mis en danger. Fragilité de ses éléments constitutifs et par essence fragilité du contemporain. À la façon des bottines de Robert Walser**, photographié au terme de sa dernière promenade, là entre les reliefs de la semelle où la neige s’est infiltrée, chaque oeuvre est donc à considérer comme une surface d’inscription passagère.
Ultime tactique, le regroupement en un certain point (celui de l’exposition) de ces travaux hétérogènes met en tension l’ensemble du projet par tout un jeu de signes (slogans, détournements, jeux de mots, artefacts, fragments mobiliers),
un va-et-vient rejouant les règles obligées de la « sémiocratie » telle qu’elle fut nommée par Michel de Certeau dans son Invention du Quotidien. Une fois de plus, les oeuvres sont, solitaires et solidaires, tenues au grand écart.
Une fois de plus, elles s’appliquent à désigner de manière « vite » le théâtre des opérations contemporaines – celui dont traitaient avec fulgurance les compositions des Jam :
« In the City,
There is a thousand faces all shining bright… »
Stéphane Le Mercier
*Slogans conçus en 1989 pour la campagne publicitaire du Club Med.
**Le Timbre Walser (2013), édition offset réalisée pour l’exposition à l’Ensba Lyon.