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    Photo Denis Brun

    Philippe Turc : « La raison du sommeil  »

    On a dit (1) de l’atelier de Philippe Turc qu’il était un cabinet de curiosités, une immense caisse à jouer dans lesquels s’entremêlent ses propres productions et une cueillette d’objets qui n’appartient qu’à sa subjectivité. Ainsi cohabitent la maquette du Cuirassé Potemkine et le regard de Lauren Bacall, une armure médiévale et le bâton d’un marcheur, les papillons et les étoiles, le Kamasutra et le manuel du pèlerin. Mille et une connexions qui s’organisent comme des connivences entre les formes, les matériaux et les liens symboliques, expression d’une intimité qui n’a pas à se justifier autrement qu’en faisant oeuvre. Le syndrome de Peter Pan habite visiblement l’artiste, l’ oeuvre et l’espace où l’un, l’une et l’autre pratiquent leurs noces. Ménage à trois, comédie sérieuse qui se referme comme une clôture dans ce que l’on appelle la vie d’artiste.

    Toute la production de Philippe Turc donne ainsi  de la matérialité à un rêve prolongé que peu s’autorise. Dans l’amusant fatras de son atelier, c’est l’oeuvre qui semble avoir la fonction de produire un ordre, symbolique et sensible. Et cette oeuvre est justement produite de main d’homme tel un pop-up qui nécessite au final, pour son ­érection fragile, le papier et la colle.
    Colle, papier, renfort, résine donnent forme à un univers qui visiblement veut concurrencer le premier monde, celui que chacun rencontre partagé entre émerveillement et déception.

    A la Galerie Meyer à Marseille nous avons pratiqué une étrange expérience. M’est revenu le titre du roman de Mishima « Le marin rejeté par la mer »: On connaît la magie de l’instant qui sur la plage nous fait découvrir les restes des choses et des objets quand le lessivage cosmique transforme le fortuit en énigme et le rien en potentiel magique. Le ressac ne dépose ni dessin, ni sculpture, au plus des à-plats de matériaux dont le meilleur principe de résistance avant le néant est la capacité à flotter.
    La pièce centrale de l’accrochage « La Sieste », que l’oeil attrape  au niveau du sol avant de monter les quelques marches qui séparent la Galerie Mayer de la rue, est de l’ordre de cet à-plat qui rassemble feuilles et fleurs, dans la position d’un homme -un sous-préfet aux champs?- profondément installé dans un repos sidéral, les mains ­repliées sous la tête, elle même couverte d’un chapeau et lui même, de fleurs. Le gisant est vivant, n’en doutons pas, mais au coeur d’un sommeil éperdu pratiqué en soi comme le but d’une existence. Tant de latence, d’immobilité pourtant ne font pas corps. Le vent, le tourbillon de l’eau, le geste artiste d’un balayeur divin, auraient pu produire cette forme dont la définition irait plus vers l’anamorphose que vers la représentation. L’ensemble des pièces ainsi est soutenu par la force de ce sommeil et intervient comme une cosmogonie issue de la puissance du rêve. Saturne et consorts, lévitent  dans l’immatérialité de l’accrochage dont les murs eux aussi sont vidés de toute représentation, mais occupés par des oeuvres qui sont autant de  projections, véritables morceaux de rêve et de désir dont la grande force est de participer au principe atonique du sommeil.
    Et si la raison du sommeil n’engendrait pas les monstres comme l’a définitivement exprimé Goya? Et si cette ­exposition était une phrase consommant le titre des oeuvres?
    Si la sieste du randonneur, tout bivouac bu, faisait apparaître l’aimable proximité de la lune, de Jupiter et de Saturne, La Meije serait-elle plus proche de nous?

    La Sieste refusait toute matérialité sculpturale: sculpture, elle était composée comme un leurre pour faire croire à l’absence de la sculpture. La Meije est sans doute l’autre tentation de l’exposition. L’érection tente à nouveau l’artiste. Sommet et glacier sont évoqués dans l’esthétique d’une maquette vériste, d’un décor de film d’animation. Etrange érection de la sculpture quand dans sa présentation elle s’émancipe de la gravité survolant le socle improbable d’un nuage. Lévitation donc d’un paysage ourlé dans les trois couleurs de l’innocence, le blanc, le vert, le bleu, héroïque ascension du paysage même qui tient pourtant à séduire et manifester la moue de ses neiges: ­Embrassons donc le paysage.

    Nils Olgerson, Peter Pan, Gulliver et Philippe Turc sont dans le même bateau, celui de la poétique des rêves. Il s’agit pour eux de prolonger le miracle de la marche des enfants funambules, enfants des somnambules. Comment être mieux, plus sincèrement et plus adroitement artiste?

    Michel Enrici

    1) Vincent Enosc, in « Avec les maîtres »  catalogue du Musée Cantini, Marseille, 2009

     

    presse danseuse

     

     

     

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