Nicolas Pilard /// « Rappels »
Rappels
Changer de médium a changé mon appréhension de la notion de site et pour tout dire, la nature de mon travail.
Je me suis formé en pratiquant la peinture sur le motif, immergé dans le paysage, ou d’après modèle, à l’atelier en composant des sortes de natures mortes. D’une certaine façon, était en jeu la manière de rendre compte d’un phénomène plastique, ou de s’appuyer sur un objet ou un espace sensible pour en produire un. Puis s’est imposée l’idée que le tableau était le lieu de ce phénomène, quelque soit la stratégie pour composer, peindre c’est créer un site. La plupart de mes tableaux sont d’ailleurs à l’échelle du corps, pas vraiment un habitacle, mais tout de même un objet qui peut immerger quasiment de la tête aux pieds. Du coup les tableaux sont autonomes. Où qu’on les accroche, les contempler c’est se couper de l’espace où ils sont et où l’on est. Ils ne trouvent leur place que sur le mode de la rupture.
Je m’intéresse maintenant beaucoup à la question du Genius loci. Faire œuvre c’est trouver le moyen de communiquer d’une manière ou d’une autre avec l’esprit du lieu, de révéler par l’œuvre une singularité de l’espace. La galerie Territoires partagés est un drôle de lieu, étroit à l’entrée, on débouche sur une pièce surélevée au volume très différent, avec une dilatation verticale. Cette petite salle, presque cubique, au plafond culminant à 3m50, incite à une attention à la pesanteur, un axe sol-plafond qui contraste avec l’entrée, étirée plutôt à l’horizontale. Le regard y monte ou y descend, c’est le principe élémentaire qui s’impose, alors pour y introduire de l’oblique, un petit recul de la surface pariétale et on est en rappel.
Ce n’est pas que je veuille transformer l’espace en chapelle, mais bon… en le peuplant d’objets-réceptacles suspendus, qui cherchent ou obstruent la lumière, ou lovés dans les coins comme des éviers organiques… j’avoue que j’avais à l’esprit des encensoirs, des navettes et des bénitiers. C’est qu’en dehors de la stricte liturgie, l’objet sacré est aussi polymorphe que l’œuvre d’art. A peu près n’importe quoi peut devenir une hiérophanie. De l’artefact à l’objet trouvé, de l’animal à la plante ou à la pierre, du peuple à l’individu, du livre à la simple parole, au mot… quand on s’imagine la profusion à laquelle l’historien des religions est confronté1, c’est difficile de ne pas penser à la tâche ingrate de l’anthropologue martien de Thierry de Duve qui essaie de recenser que que le mot art désigne2. L’art a des frontières poreuses avec le sacré et le magique, et j’avoue que le territoire que je souhaiterais partager, est celui silencieux et immobile d’un questionnement sur notre rapport au monde.
1Je pense, entre autre, à l’introduction du Traité d’histoire des religions de Mircea Eliade, Payot, 1949.
2Thierry de Duve, « L’art était un nom propre », in Au nom de l’art, Minuit, 2002.