Du 30/10/2015 au 19/12/2015
SABRINA BELOUAAR
Racine Carrée
Project Room : ROBIN TOUCHARD
Renverser les monuments pour voir les vers qui grouillent.
29 octobre – 19 décembre 2015
Galerie Gourvennec Ogor 7 rue Duverger 13002 Marseille
Sabrina Belouaar a trouvé sa famille, Kader Attia, Mohamed Bourouissa, David Hammons ou Mona Hatoum. Des artistes qui ont su construire des œuvres politiques sensibles en inscrivant leur héritage culturel dans des formes plastiques, écrit-elle dans son mémoire de fin d’études de l’école des beaux-arts de Marseille.
À travers un corpus d’œuvres issues d’un scénario qu’elle nomme héritage culturel, elle reprend à son compte les questions de genre et d’identité qui affirment que tout serait constructions sociales et culturelles performatives qui mimeraient souvent de manière parodique une assignation dont personne ne connaîtrait les origines.
Il n’existe pas nous apprend Judith Butler de sujet présocial qui précéderait les processus discursifs qui le construisent.
“Pas d’essentialisme, qui lierait nécessairement une identité à un corps naturellement différencié, ni de substantialisme, c’est-à-dire d’un individu qui précéderait ses déterminations sociales. Il y a donc, pas de déjà-là, avant les processus normatifs qui construisent l’identité. Dans la construction de l’identité et du genre, cela se caractérise par le refus d’un corps préexistant, d’une expérience corporelle précédant la médiation sociale.”
Sabrina Belouaar prend acte de ce corps qui forme autant qu’il se forme, qui se norme dès la naissance avec les informations qu’il incorpore jusqu’à construire sa singularité. Le corps plastique de l’artiste qu’elle s’ingénie à opposer aux modes de représentation les rend inopérants dans un face à face déroutant entre construction et déconstruction des normes oppressives que le monde de l’art ne cesse de créer.
Le corps de l’artiste assigné dans les catégories, femme, immigrée de la Xème génération, issu d’un métissage franco-algérien est un corps qu’elle décide ensuite de confronter à celui du monde de l’art et des espaces qu’il crée en éprouvant sa supposée plasticité, pour construire des stratégies qui le mette en échec.
Recouvrement ou effacement l’artiste ajoute ou retire sans cesse de la matière pour dévoiler les structures rigides d’un art autoritaire à déconstruire.
Dans Empreintes, l’artiste nous présente un collage de bandes de scotch dans un cadre blanc. À première vue, cela ressemble à une œuvre géométrique où sont agencées des lignes. Ces bandes de scotch ont entièrement recouvert le corps de l’artiste préalablement enduit d’encre. Elles sont les empreintes de l’entière surface d’un corps, celui de l’artiste qui ensuite les a assemblées pour les présenter dans une forme rectangulaire, celle imposée par le cadre choisi. Le geste pose d’emblée la question du cadre normatif du langage artistique, dans sa présentation autoritaire, qui enserre et limite le corps de l’artiste.
Dans Henna, l’artiste présente accrochée au mur une toile à l’échelle de son corps qu’elle a recouvert de henné mimant la figure du monochrome. Forme inventée au début du XXème siècle et devenue au fil du temps un genre à part entière, l’artiste lui oppose un medium fragile qui se détériore et qui n’arrive jamais à incarner une couleur unifiée, c’est un monochrome qui montre son impossibilité à être réellement monochrome, sa matière ne pouvant se résoudre à l’incarner vraiment.
Comprendre comment les corps et leurs représentations sont façonnés par les systèmes de pouvoir nécessite donc de s’intéresser à l’incorporation des normes et à la façon dont les discours donnent corps et se matérialisent.
Qu’est-ce qui donne matière aux corps ? Qu’est-ce qui les fait signifier ? Et comment l’artiste peut-elle construire des systèmes de présentation qui laisse la possibilité de dépasser les catégories constitutives du corps dans des espaces et dans des formes moins autoritaires ou plus appropriées? C’est le chemin sur lequel Sabrina Belouaar engage une partie de ses œuvres, entre construction et déconstruction, elle mime les stratégies normatives du monde de l’art auquel elle oppose un supposé héritage culturel qui lui serait étranger.
Pascal Lièvre, Septembre 2015
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Robin Touchard
A travers ses gestes sculpturaux, filmiques ou performatifs se manifeste dans le travail de Robin Touchard un chaos multicolore, une clameur volcanique en partie maîtrisée par des dispositifs et des collaborations.
Chez cet artiste, les matériaux deviennent matière, toujours dans un souci du vivant, dans des processus de transformation qui testent les limites de l’expérience, les marges de la transition où fusionnent, comme il le suggère lui-même, « des formes organiques et artificielles ».
Sous un désordre apparent éclosent des correspondances profondément matériologiques: le moindre objet, la moindre attitude se transforme de façon à s’imbriquer dans une aventure intempestive, qui invoque la géologie et les mythes cosmogoniques.
( … ) Nous glissons sur les pentes rocheuses de ces pages minérales, nous plongeons au fond de ce canyon, après avoir descendu différentes couches géologiques dans le vertige des profondeurs ( de la mémoire ? )
On le pressent, les œuvres de Touchard sont compactes, superposées, entassées, combinées, étagées, brouillées, fusionnelles, accumulées, amalgamées, étanches, projetées, parasitées, mutantes, tumultueuses, multiformes… Elles portent les traces d’un espace passé, d’un espace en déploiement, et laissent retentir que tout peut encore survenir. Il semble qu’à la lecture des œuvres de l’artiste, ce soit le chaos lui-même qui soit interrogé. Ce chaos plastique chercherait-il, comme dans la création du monde à faire naître un univers ordonné ? Le chaos comme sujet, comme lieu de spéculation plastique, lieu de la perte de repères spatio-temporels, lieu de déstabilisation, de vertige visuel et physique, de corps transformé, diffusé, impacté par les images, lieu d’un commencement perpétuel d’un système dynamique.
Une topographie ramassée et romantique qui figure et concentre les réalisations polymorphes de l’artiste.