« Sans titre » Huile sur toile 100x65cm – 02-2005
Selon la nomenclature traditionnelle le travail artistique de Pierre Chanoine présenté ici se situe dans la catégorie peinture.
Une question tend le doigt :
– Que veut la peinture ?
Une réponse murmure :
– La peinture, encore et toujours depuis 50 000 ans, veut poser la même question : qu’est-ce que voir ?
Alors s’enchaînent une série de projections.
Projection 1.
Ici. Devant ce diptyque, un homme à gauche, une femme à droite. Un couple donc. Au moins un symbole de couple. Avec, visiblement, d’énigmatiques relations, d’équivoques demi-sourires, des gestes partagés entre l’ironie et l’ambiguité, plus toute une histoire entre eux qu’ils ne veulent pas forcément livrer.
Une sorte de « Mariage Arnolfini » d’aujourd’hui ?
Projection 2
Peindre à distance. Frontalité. Grande bande horizontale laissée à la toile brute. Seules têtes et mains sont modelées. Le reste est envahi d’objets, fait d’objets, nourri d’objets. Comme nous tous. L’objet est une image et l’image est un objet.
Projection 3.
Du côté des ancêtres : Jan Van Eyck, d’accord les Arnolfini. Et le Milanais Arcimboldo avec la mémoire de ses ghiribizzi. Les Cubistes avec la palette-guitare dont l’imprimé du JOUR invente un miroir. Vélazquez pour le miroir ? Carrà et surtout Dada, avec Hausmann et Picabia, rastaquouère d’évidences. Plus près, quelques clins d’œil à Adami, à la B.D. ou aux catalogues de V.P.C. Rimes visuelles.
Projection 4.
Pour lui, à gauche, le salut d’un doigt n’est pas réservé aux seuls maçons italiens dans les films de Renoir, Jean fils d’Auguste. Pour elle, à droite, le pied de nez avec annuaire plié a toujours été pratiqué dans les cours de récréation. Par contre les peintres du paléolithique pliaient souvent un doigt avant de peindre leur main en négatif sur le mur de la caverne. On se demande pourquoi. On ne sait pas encore.
Projection 5.
Il y a plein d’histoires. Super hamburger géant sur le pied gauche, laissons de côté. Chez elle il y a -intéressant- le pavillon de la trompette qui est le cul du biberon.
Alors, avalanche de projections(6, 7, 8, 9, 10, 11…)… Le cul de la trompette est le pavillon du biberon ? Transcrite en mots, cette partie de l’image peut donner prétexte – ici justement nommé – à de multiples interrogations sur le thème du retour, de l’enfermement, presque jusqu’à l’inceste et l’autisme. Qu’on examine seulement cette ligne d’un cercle passant alternativement de la succion à l’expulsion, que le don ou la prise soient physiologique ou artistique, on est alors devant un objet qui nous demande : qu’est-ce que voir ? Par cette seule
question la peinture travaille à la résistance face aux images. Aujourd’hui elle est un des rares lieux qui peut encore nous parler des images, de la montagne d’images qui nous a irrémédiablement envahi. Parce qu’elle est d’abord une distance, celle de la main, l’œuvre d’un homme qu’il projette hors de lui-même dans un objet seul et unique.
Jean-Louis Marcos