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    « Marseille, vendredi 2 septembre 2016 »

    Un projet de résidence/exposition

    A la fin de l’été 2016, Elzévir a vagabondé dans Marseille à la rencontre des paysages
    et des habitants du centre ville. Cette exposition est le premier temps de ce projet, il se
    poursuivra par une exposition urbaine avec un affichage de ses peintures.

    Droit devant, la peinture d’Elzévir

    « Toute distinction physique ou intellectuelle est frappée d’une fatalité, ce type de fatalité qui semble, tout au long de l’histoire, s’attacher aux pas chancelants des rois. Mieux vaut ne pas être différent de ses congénères.»

    Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray Assise à la table d’un café, je regarde les passants. Au passage piéton, un couple de grands-parents pousse lentement une

    poussette en bavardant. Une asiatique traîne une valise en trottinant. Des parents pressés tirent par la main leurs deux petites jumelles en doudoune rose fuchsia et bonnet péruvien. Au passage piéton, un couple de grands-parents pousse lentement une poussette en bavardant. Impression de déjà vu, chassée de mon regard par un autre individu, puis un autre, et encore un autre, qui parcourt les rues puis entre dans les vastes pages d’Elzévir. Les personnages occupent la quasi totalité du cadre et font irruption dans mon espace. Leur taille, les couleurs de leurs vêtements, leur donnent une consistance tangible, massive, inévitable. Jeudi 21 août 2010, une série commence, une jeune femme se prête inlassablement au jeu. Chaque fois, elle envahit la page blanche du tableau par sa présence sereine et directe, généreuse et mouvante.

    D’autres personnes arrivent, qui diffèrent dans leurs tenues vestimentaires, leurs attitudes. Aucune ne se fond dans la masse. D’une oeuvre à l’autre, chacune apparaît dans sa singularité, sort de l’indifférence, remarquée et saisie à l’occasion par le peintre.

    Puis des correspondances s’établissent : formes, identités, postures, séries. Des femmes en boubous, des mamies et papis, des gens sous la pluie, des femmes voilées, des filles en maillot de bain, des nageuses… Gens ordinaires, chorégraphies quotidiennes.

    Qu’ils marchent ou qu’ils glissent, ils sont des corps, un mouvement, que soulignent les lignes, les plis et l’éclat des vêtements. L’énergie de la couleur et des formes surgit devant nos yeux dans « un équilibre massif », pour reprendre une expression d’Elie Faure à propos de Cézanne, révélant la présence de l’individu dans le monde. « Demeurer le moins possible assis : ne prêter foi à aucune pensée qui n’ait été composée au grand air, dans le libre mouvement du corps – à aucune idée où les muscles n’aient été aussi de la fête. Tout préjugé vient des entrailles. Etre ‘‘cul-de-plomb’’, je le répète, c’est le vrai péché contre l’esprit. » Nietzsche, Ecce Homo Elzévir est un flâneur, un regardeur qui observe le monde avec tendresse, sans ironie. Il pourrait dessiner en marchant. Et quand il peint Le balcon ou ses Piscines, quand il dessine jour après jour dans ses carnets, les formes prennent l’allure de silhouettes, troubles et plus évanescentes, comme pour nous rappeler qu’un mouvement, l’instant d’après, s’efface. Dans ses séries de passants, les personnages posent (le plus souvent sans le savoir) dans une immobilité provisoire, et de dos comme de face, ils passent. Les uns après les autres, tous vont vers un but inconnu de nous, inéluctable aussi, et s’avancent dans la profondeur de la peinture. Le fond, lieu ou paysage possible qui n’est pas nommé, semble alors marquer le passage de leur réalité d’individu à leur statut de chose peinte. Mais cette dimension scénique est un subterfuge de peintre. À travers le fond blanc, minimal, qui tend à se confondre avec le mur, Elzévir crée un va et vient : ces personnes devenues personnages appartiennent à notre espace et s’en

    détournent immédiatement. Toute la subtilité du peintre est de les isoler dans un certain état, de renforcer leur caractère insaisissable, de décrire leur consistance indescriptible. Par delà les apparences des individus, ce n’est pas seulement le genre qui intéresse l’artiste mais aussi leur condition d’être humain. Marcher, passer est notre destination commune. Comme Balzac fasciné par la démarche, Elzévir, en décrivant les êtres dans leur déambulation et leur passage, montre ce qu’ils ont en commun : traverser l’existence. Saisis dans la durée, ils arpentent les saisons, les jours, partent d’un point invisible vers un autre point invisible. Ils avancent, droit devant !

    Jeudi 21 août 2010 continue. Est-ce qu’elle pose ? Assise, debout, au bord d’un tabouret, elle passe. Eté, hiver, heure après heure, sa présence est un enchantement, tel un éternel commencement. La peinture est-elle une tentative pour retenir les choses ? Seule la matière les fixe, structurant ou relâchant un mouvement, une respiration. Elzévir n’arrête pas les individus dans leur course, il les accompagne dans leur devenir.

    Dorothée Deyries-Henry*

    Décembre 2013

    * Conservateur du patrimoine, auteur et commissaire d’exposition. www.dorotheedeyrieshenry.com

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