A.
Lundi dans le bus j’écoute «slide in stranger’s night» (2007) de la géorgienne Natalie Beridze, préoccupé par l’arpège lancinant tournant en boucle derrière sa voix. Je connais cet arpège, je l’ai déjà entendu, il y a peut-être des années. Ca ressemble à du Steve Hauschildt, pourtant, non, impossible de retrouver chez lui la trace de ces accords qui m’obsèdent. Et mardi dans le métro en y pensant à nouveau j’ai finalement l’intuition qu’ils sont sur un morceau de Boards of Canada. De retour chez moi : Oui, Zoetrope (2000), voilà le morceau original cité par Beridze.
« Boards of Canada est considéré comme un précurseur du mouvement musical de l’hantologie. On parle d’hantologie résiduelle lorsque les compositions mélangent la matière première du passé avec des sons enregistrés dans le présent. La trace du passé se diffuse, voire disparaît presque, dans les nouvelles compositions.»
B.
Un matin à 5800 kilomètres de chez moi je me réveille en face d’une peinture de Carrie Yamaoka. Allongé dans le lit, pendant un quart d’heure, je me laisse aller à un exercice de méditation imaginaire irradié par la lumière de ce petit rectangle en résine, sorte de soleil pâle. C’est très agréable et mystérieux. Puis je sors boire un café avec mon ami Thomas Fougeirol.
Thomas : «Ma première impression avec le travail de Carrie n’a pas été visuelle mais plutôt une sensation sonore. Chacune de ses pièces peut évoquer la sensation d’être en face d’un fragment d’espace indéfini, ouvert. Chaque peinture fonctionne comme une éponge, absorbant ce qui se trouve à l’extérieur et tout paraît être dans un état d’instabilité. Le spectateur ne peut pas vraiment extraire de formes, il est plutôt en face d’un champ vibratoire.»
C.
Je suis dans le centre-ville de Thouars (Deux-Sèvres) : les vitrines de magasins fermés (définitivement) sont partiellement repeintes au blanc de Meudon. Fantôme de salon de coiffure, de brasserie, de bar-tabac, de magasin de chaussures. Dans le village de Laheimex (Meuse) : une feuille de gélatine rosâtre placée devant l’objectif (35 mm) de mon appareil, je photographie Jo Vankerckhove nue dans des jardins potagers. A Odessa (Ukraine) : Irena et Andrei, les membres de Bad News From Cosmos assemblent les fragments sonores d’un projet de disque dont le nom de code est «Heima Matti».
Julien Carreyn, 2018