LYDIE SALVAYRE
Marcher jusqu’au soir
Editions Stock, Paris
2019
L’humeur railleuse et le verbe corrosif, Lydie Salvayre se saisit du prétexte d’une nuit passée au musée Picasso pour questionner le milieu artistique et ses institutions.
Lydie Salvayre a obtenu le prix Hermès du premier roman pour La Déclaration, le prix Novembre pour La Compagnie des spectres, et le prix Goncourt pour Pas pleurer.
(extrait)
Je crus soudain entendre un bruit de pas. Le monde extérieur continue donc d’exister, me dis-je en poussant un soupir de délivrance. Il s’agit certainement du gardien, pensai-je. Nous allons bavarder ensemble, il me tiendra compagnie et m’apprendra mille choses qui serviront de dérivatif à mes sombres pensées, mille choses sur les visiteurs étrangers : leurs poids, dimensions, contenance, odeurs, rythmes, vitesses de déplacement et leurs parlottes émises dans les langues bizarres de tous les pays du monde.
J’attendis quelques minutes. Mais aucun autre bruit ne se fit entendre et personne ne vint. J’en fus dépitée.
Mon désir d’une présence humaine était-il tel qu’il m’avait fait halluciner un bruit de pas ? Ça n’était pas impossible.
Car moi qui avais longtemps prêché la solitude et le retirement comme conditions sine qua non à l’approche de la littérature – et dans le château de Duino si faire se pouvait –, moi qui avais prêché la solitude comme condition sine qua non à l’approche de l’art en général, je me pris à regretter la cohue, les bousculements, les bavardages (…). Je me pris à regretter les babils parfaitement étrangers, parfois, aux objets exposés et les agglutinements de mouches devant les toiles qui vous empêchent de vous esbaudir comme il est indiqué de le faire.
Lydie Salvayre. Marcher jusqu’au soir. Ed. Stock, coll. Ma vie au musée, Paris, 2019, ici