Pouvez-vous nous résumer vos missions ?
D’abord être galeriste relève selon nous d’un engagement individuel chevillé au corps, celui d’aider les artistes et de les aider concrètement. Voilà notre seule éthique. Nous avons créé la galerie dans ce but, à la fois modeste et nécessaire ; Et contribuer financièrement à l’économie d’une œuvre c’est participer tout simplement à sa bonne santé, à sa vie et à son développement.
Nous disons souvent qu’il y a autant de galeristes que de galeries. L’activité de galeriste se conçoit d’une façon très personnelle. En cela ce n’est pas précisément un métier ordinaire. Ca s’apparenterait bien plus à de l’invention, ce qui rend sans doute cette activité passionnante. De plus, nous avons une marge de manœuvre bien plus grande en province. Nous pouvons plus librement créer des partenariats, en somme imaginer toutes sortes de fonctionnements à la marge des cadres parfois oppressants et normatifs du marché de l’art actuel. Il y a cependant des éléments qui distinguent le travail d’une galerie professionnelle : celui de découvrir des artistes, de les suivre durablement, de les exposer régulièrement (dans son espace et hors les murs, en foire), de défendre leur travail auprès des collectionneurs, des institutions et du plus large public. Ces opérations se réalisent à travers les ventes évidemment mais aussi les rencontres et en favorisant la reconnaissance de leurs parcours par la presse ou les publications.
Quel chemin vous a conduit à l’art contemporain ?
Notre aventure est le fruit de deux itinéraires différents et complémentaires.
Béatrice : À l’origine de la création de notre galerie, je suis collectionneuse depuis de nombreuses années. Le premier coup de cœur, presque intuitif, a été le déclencheur d’une passion toujours grandissante et la rencontre avec les artistes, le départ d’une réelle admiration. L’art contemporain est alors devenu pour moi un mode de vivre, une aide précieuse.
Barbara : j’ai fait par amour de l’art contemporain de longues études d’histoire de l’art jusqu’au doctorat, jusqu’à vouloir absolument qu’il soit au cœur de ma vie professionnelle. Je suis enseignante-chercheuse et le désir de comprendre l’écosystème de l’art contemporain devait passer nécessairement à un certain moment de mon parcours, en dehors des voix académiques, par la confrontation plus directe à la réalité de son économie, la production et la diffusion. Cette prise de conscience a elle aussi pour point de départ la rencontre déterminante et privilégiée avec les artistes. Enfin, notre amitié elle-même s’est fondée sur une affection particulière pour la peinture contemporaine, cultivant encore aujourd’hui d’interminables et vifs débats. Dès lors, nous n’avons eu de cesse d’entretenir cette flamme teintée de curiosité et de conviction.
Quelques mots sur la relation qui se crée entre vous et les artistes ?
Il nous importe par dessus tout de construire une relation de fidélité et de confiance avec les artistes de la galerie. Nous nous considérons comme une équipe, une famille, on se sert les coudes et on s’apprécie les uns les autres. La vie de la galerie crée des histoires d’amitié entre les artistes eux-mêmes aussi qui rend notre démarche vraiment gratifiante. En outre, l’existence d’une galerie d’art à Marseille est malgré tout toujours un peu fragile et se sont les artistes qui nous font tenir dans les moments difficiles. Nous construisons notre chemin pas à pas et main dans la main. Cette solidarité est une fierté pour nous, elle nous rend assurément plus forts. Notre ambition a toujours été de construire une ligne articulée aux enjeux de la peinture contemporaine. Nous sommes donc liés par de puissantes affinités artistiques mais par delà cette dimension fondamentale nous partageons certainement une même prédisposition au combat, entretenue par l’amour de la liberté, de création et d’opinion.
Béatrice : sur une île déserte je n’emporterais peut-être pas une œuvre plastique mais de la musique, Norma.
Barbara : cette question est un peu piégeuse car j’aimerais évidemment en prendre plusieurs mais je vais répondre. Je dirais une chambre de Jean Laube. Une œuvre comme un petit coffret, une œuvre portative en quelque sorte. Une œuvre visible de l’intérieur et qui a peut-être le potentiel secret de renfermer toutes les autres ? Je trouve très juste et paradoxalement précieuse cette utopie d’une œuvre qui, comme le dit Jean Laube, « tiendrait dans une boîte d’allumettes ».
Quel rituel vous manque quotidiennement en cette période si particulière de confinement ?
Béatrice : La visite d’atelier. Ca nous manque beaucoup de ne pas continuer à découvrir des trésors dans ces lieux de création toujours mystérieux,
Barbara : Ce n’est pas à proprement parler un rituel mais ca le devient par la force des choses : les rencontres impromptues que l’on fait encore à la galerie nous manquent aussi. Nous aimons à vivre à travers les yeux d’un inconnu qui a poussé la porte de la galerie son plaisir de la découverte, sa surprise, et le moment de convivialité qui en découle.
Légende photo : Barbara Satre et Béatrice Le Tirilly avec Arthur Aillaud, exposition En continu, dernière avant le confinement.