Pouvez-vous nous résumer vos missions ?
Quel chemin vous a conduit à l’art contemporain ?
Une formation en école d’art, avec un intérêt particulier pour la notion d’emprunt et de non-autorité (formes anonymes, collectives, diffuses…). Des rencontres, aussi. J’assiste la chasseusecueilleuse Victoria Klotz, puis la photographe Lucie François pour un travail en milieu carcéral, j’apprends des enseignements du sculpteur Stephen Marsden, de l’artiste-arpenteur Till Roeskens, ou encore, pendant quelques jours, de l’imposante (et inspirante) Mona Hatoum. Plusieurs années de pratique au Maroc m’amènent à développer un intérêt pour des démarches fortes et autonomes émanant d’artistes, d’habitant-e-s ou de commissaires indépendant-e-s à un moment où les soutiens institutionnels sont encore très peu présents dans ce pays. Deux trajets par la route vers les biennales de Dakar et de Bamako et un temps de travail au Brésil m’offrent de réaliser le trop peu d’outils que mon parcours de citoyenne française m’a mis en main pour comprendre la complexité de notre héritage colonial, la construction de nos rapports à l’altérité, au monde et aux représentations… Comme le formule l’anthropologue Philippe Descola « Notre universalisme est devenu trop étroit pour appréhender ce qui nous arrive, il doit être repensé afin de le rendre plus hospitalier à d’autres manières de composer des mondes ». Nos formes de partages culturels, et l’art contemporain en est un, ont quelque chose à voir là-dedans.
Cette tentative de « composer des mondes », il me semble l’avoir souvent traversée au cours de ces six dernières années au 3 bis f, par l’intermédiaire d’un projet qui se reformule constamment par les apports des artistes, de l’équipe et des usagers. Pour moi « l’art contemporain » s’y enrichi par ses frictions au spectacle vivant et, bien entendu, à l’épreuve de son partage. Dans ma pratique, j’entrevois l’élargissement possible de ses contours par une réflexion autour des droits culturels, ou encore des communs, axe d’un travail exploré avec le réseau des lieux intermédiaires et indépendants. En charge, par ailleurs, d’un cours auprès d’étudiants en Arts de la scène, nous interrogeons les liens multiformes entre création artistique et espaces institutionnels. Avant le 3 bis f, j’ai beaucoup appris dans le vif de l’expérience et grâce à la confiance de Christiane Courbon par un passage à Arteum, à Châteauneuf-le-Rouge.
Quelques mots sur la relation qui se crée entre vous et les artistes ?
Les artistes, c’est le cœur du sujet. La recherche. L’intuition, puis la confrontation au contexte, ou l’intuition issue de cette confrontation. J’arrive généralement à un moment de discussion et de mise en relation : comment ménager une place pour la rencontre dans ces espaces. Cela n’est pas toujours facile à opérer avec justesse. Il faut du « sur mesure ». Faire avec leurs forces de propositions, parfois à rebours de leurs projections préalables, faire, surtout, avec leurs désirs et leurs disponibilités dans un moment exigeant de la création. Viser, ainsi, une rencontre sincère dans l’expérience avec notre public aussi multiple qu’imprévisible. Il est très important que ces temps de partage que nous appelons « sessions » soient également nourrissants pour les artistes, qu’il y ait un double apport – réciprocité – qui différencie ce moment de l’action culturelle ou de l’art-thérapie qui ne sont pas nos endroits de travail. Nous menons ces réflexions en étroite collaboration avec toute l’équipe et plus particulièrement avec l’infirmière du lieu et Diane Pigeau, directrice artistique du centre d’art, à l’initiative de la programmation des résidences et des expositions.
Je me garderai bien d’emporter quoi que ce soit.
Quel rituel vous manque quotidiennement en cette période si particulière de confinement ?
Presque rien. Une certaine saveur à quitter son quotidien pour, sans doutes, mieux le retrouver ensuite. Nous le voyons bien ces dernières semaines, combien les espaces de silence et de vacuité sont rares et précieux….Ce sont des espaces de réflexion sur le sens du travail que nous menons et notre manière de le faire. L’occasion de prendre du recul et, peut-être, un nouvel élan. Ces espaces n’existent à ce jour pas suffisamment dans nos métiers, et ils sont cependant absolument nécessaires. Peut-être, une chose ou deux, tout de même…. (Je n’ai pas précisé que notre bureau est partagé par toute l’équipe et accueille une grande table ronde avec café à volonté pour usagers de la psychiatrie, artistes, passants… de quoi ne jamais s’ennuyer et laisser trainer quelques coquilles dans notre correspondance du jour.)