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  • Ugo Schiavi
  • Ugo Schiavi – Rudus, Ruderis. Romantisme 2.0
  • Prolongation de l’exposition jusqu’au 13 Juillet 2018
    Ugo Schiavi
    Rudus, Ruderis.
    Romantisme 2.0

    En voyant le grand nombre des députés à l’assemblée nationale de 1789, et tous les préjugés dont la plupart étaient remplis, on eût dit qu’ils ne les avaient détruits que pour les prendre, comme ces gens qui abattent un édifice pour s’approprier les décombres. 
    Chamfort, Maximes et Pensées –

    Rudus, Ruderis. En latin, signifie littéralement : Décombre-s. De nos jours on utilise plutôt ce mot en botanique : l’on qualifie de rudérale, une plante, qui croît parmi les décombres. C’est aussi dans notre cas le titre de l’exposition personnelle d’Ugo Schiavi à la Double V gallery pour ce Printemps de l’Art Contemporain 2018. Celle-ci s’attache dans bien des aspects, à faire une restitution archéologique d’un temps présent, dans une géo-localité concise, celle de Marseille.
    Plus concrètement : en restant fidèle à sa pratique, l’artiste se concentre ici sur un territoire chargé d’histoire et nous livre une série d’œuvres définitivement contemporaines qui se font miroir d’une ville actuelle mais aussi écho d’un passé antique, avec des sculptures, à la fois, moulage du vivant et archives de l’antérieur…
    Nous pourrions parler dans ce cas précis, de renouvellement romantique. Comme le mouvement culturel apparu à la fin du XVIIIè siècle en Angleterre et en Allemagne et qui se diffusa par la suite dans toute l’Europe en s’exprimant dans tous les styles artistiques, qui se caractérisait par la volonté des artistes à explorer l’art afin d’exprimer un état d’âme : une réaction du sentiment contre la raison, une exaltation du mystère, tout en cherchant l’évasion et le ravissement dans le rêve d’un temps passé. Avec son travail de sculpteur, Ugo Schiavi ne peut se cacher d’avoir un attrait tout particulier pour la magnificence de la grande sculpture celle qui orne désormais les villes et les musées.

    C’est avec des procédés de moulage, où il demande à des modèles de poser sur des monuments ornés reconnaissable dans l’espace urbain, et avec des techniques à prises rapides, résolument actuelles, qu’il en ressort un moule, avec lequel il peut rendre compte à la fois du passé historique d’un lieu, de la superbe des statues qui ont été érigées à cet endroit pour le marquer d’un événement porteur de sens, ici bien plus qu’ailleurs, mais aussi un sentiment manifestement générationnel, qui se caractérise par « une nostalgie de l’avant ». Un romantisme du 21ème siècle.
    Le traitement de la forme, proche de la ruine et du décombre, que donne Ugo aux tirages en béton qui découlent de ces moules, nous poussent à investiguer ces sculptures qui nous font face. Proviennent-elles réellement de décombres urbains ? D’autres artistes ne s’étant pas privés dans la pratique du glanage, c’est une question qui se pose jusqu’au moment où l’on se rend compte qu’une partie de ce fragment relève du vivant, de l’actuel non de l’accidentel.
    C’est à cet instant que l’imaginaire s’enflamme et nous emporte contre la raison, vers des souvenirs mythologiques de créatures capable de pétrifier d’un seul regard, vers ces reportages sur les ruines de Pompéi et ses incontournables plâtre. Pourtant, l’acier de ces hypothétiques découvertes archéologiques s’avère être de la tige filetée qui articule les différents éléments et ce qui a pu nous sembler être de la pierre en mauvaise état est en tout état de cause, une ronde bosse coulée en béton.
    Tous ces fragments se retrouvent agencé en une scénographie immersive reprenant les codes des réserves de grands musées. La rangée d’étagères au mur ne fait que renforcer ce sentiment de trouvailles archéologiques, ressurgies d’un temps reculé. Tout est ici fait pour que le visiteur se sente presque, le découvreur d’une histoire perdue. Certaines sculptures sont même montrées dans des caisses de bois, premiers écrins de transport, ici conservée visible.
    Même depuis la vitrine de l’exposition, nous sommes transportés à la limite du muséum d’histoire naturelle. Un certain nombre de plantes, d’éléments de végétations et de décombres parmi lesquels on peut entre-apercevoir des fragments, moulages d’éléments de l’atelier de l’artiste, nous transporte et nous ramènent le temps d’un souvenir lors de nos visites scolaires de ces musées qui nous montraient comment était la vie avant.
    Ces plantes elles-mêmes, quintessence d’une démarche de l’artiste, qui va à la rencontre de celles-ci dans leur milieu naturel, un parking, un terrain vague, une extrémité de la ville sur laquelle il travaille sont prélevée directement de ces décombres. A la fois oubliées des botanistes et des touristes, ces végétaux se font l’exemple parfait de la situation face à laquelle veut nous confronter Ugo Schiavi : le beau de cet élément que nous ne regardons plus. Une plante rudérale qui s’acharne à continuer d’exister contre toutes attentes. Illustration directe du titre de son exposition.
    Encore une fois, avec cette installation, l’on trébuche dans le stratagème de la nostalgie, pour mieux se rendre compte que les décombres proviennent de notre environnement quotidien, celui-là même que nous avons traversé pour venir découvrir cette exposition. A cela près que les fragments, moulages de béton sont des empreintes du lieu de travail de l’artiste et restent figés dans ce temps suspendu entre passé idéalisé et présent laissé à l’étude d’un futur hypothétique.
    Ugo Schiavi est en réalité le concepteur de son propre diorama, un diorama qui, en puissance, ne s’attache pas seulement à montrer ses processus de travail mais aussi les événements récurrents, propre à ce présent que nous tous vivons subissons et construisons chaque jour.

    C’est donc conscient de la splendeur révolue d’une époque qui le fascine, mais décidé d’y ajouter sa marque avec des techniques actuelles, tout en nous parlant du présent, qu’il nous fait doucement glisser dans le spleen du révolu pour nous ramener brutalement à une conscience aigüe d’un présent qui nous est quotidien et pourtant souvent délaissé. Ugo Schiavi, immanquablement, un nouveau romantique.

    Léo Marin

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